Le Chemin des écluses
Un livre de Lionel Bourg aux éditions Folle Avoine.
« C’est tout ce que je n’ai pas vécu, tout ce qui ne me fut pas donné qui soudain se saisit de moi, m’étreint, me bouleverse : on ne guérit pas de ses jeunes années. »
Invité à la villa Beauséjour (Maison de la poésie de Rennes) durant les mois d’avril et mai 2007, Lionel Bourg s’est emparé du mot « résidence » avec aplomb. Il l’a bien calé dans sa tête, l’a fait bouger à sa façon en le laissant travailler en douceur, dans le studio aménagé à l’étage, avec vue plongeante sur le parc (où des enfants, il y a quelques décennies encore, s’égaillaient sans doute) puis sur l’eau grise (ou verte) qui file en rencontrer une autre, tout aussi sombre, aux abords du centre ville. C’est dans ce havre qu’il a jeté l’ancre, décidant d’y rester soixante jours d’affilée et de noter, d’annoter, au fil de son séjour au bord du canal, tout ce qu’il ramènerait de ses nombreuses balades, escapades, virées, découvertes et rencontres alentour.
Cela donne aujourd’hui un livre, Le Chemin des écluses, publié par les éditions Folle Avoine.
Après une visite au cimetière voisin, celui du nord, le plus ancien de Rennes, et le plus chargé d’histoire, place au chemin de halage qui file entre berges et peupliers le long d’une « lame d’étroit silence ». Là coule le canal. Le canal et ses étranges dénivelés. Ses éclusiers absents. Ses bateaux fantômes. Ses portes d’eau qui grincent et s’ouvrent en déchirant un bon millier de rideaux tissés de plusieurs millions de gouttelettes à la seconde.
« C’est un long chemin, une manière de route où, comme en Chine, on souhaiterait avoir l’occasion de méditer l’enseignement de certaines bornes, (...) celui de marques plus triviales au besoin, de repères enfin fiables... »
Au total, quatre-vingt kilomètres « d’eaux captives » s’en vont ainsi rejoindre la Manche après passage obligé (et parfois mouvementé) des 48 écluses. Un fil que l’on peut suivre pour aller à la rencontre de paysages inconnus. On peut également s’en écarter... Lionel Bourg ne va d’ailleurs pas s’en priver. Il aime trop les imprévus, les intervalles, les brisures, les brusques envies d’aller voir ce qui se trame à côté, à quelques encablures, sur l’autre versant du talus d’en face pour se maintenir (en pilotage automatique) sur une route trop balisée.
S’il y a Le Chemin des écluses, il y a aussi, pêle-mêle, à portée de main et de regard, présents dans les parages, le Nouveau-né de Georges de La Tour au musée, l’ombre de Léo Ferré à l’anse Du Guesclin ou celle de l’abbé Fourré sur les rochers de Rotheneuf. Il y a Châteaubriand gisant de tout son long au Grand Bé. Il y a les poèmes du trop méconnu Gilles Fournel (1931 - 1981) en embuscade et les Gueules de Fort d’Elice Meng à voir au Fort Saint-Père.
« Les toiles d’Elice Meng, rageuses, apaisantes n’empêche, travaillées à vifs coups de couteau dont la lame gratte, coupe, tranche, incise ou souligne au gré du visage une bouche, un rictus, une paupière, ces toiles noires, dont les traits se détachent sur l’ocre jaune d’une couche elle-même éraflée, scarifiée, rendent justice à ces personnages longtemps exclus de la mémoire commune. »
Sans oublier Cancale, Dinan, Combourg, Brocéliande… Il faut vite multiplier les rencontres. À chaque fois s’approcher, toucher, découvrir, s’émouvoir. Y mettre son corps, son être, sa mémoire, ses lectures. Donner autant que l’on reçoit. C’est ce que fait Lionel Bourg dans ces pages où, prenant ses « aises avec le tracé du canal », il réussit à contourner les écluses (et bien d’autres obstacles : abandonnant ici un « affreux crucifix », s’insurgeant là contre le manque de respect des livres dont font preuve certains vendeurs officiant à Bècherel, « cité du livre ») pour aller, résolument, avec force ou nonchalance, vers ce qui vit, souffle, ouvre et incite au partage.
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Logo : Elice Meng, tête nue écorchée sans visage.