Le sentiment d’une grande liberté confiée à une belle solitude.
Lorsque pour un atelier d’écriture, je rencontre des élèves, des adultes en difficulté sociale, linguistique, psychologique, je suis devant eux exactement ce que j’écris. Je leur « parle mes livres ». Et la plupart du temps, j’ai le sentiment qu’ils entendent ce qu’ils ne liront pas ou n’auraient jamais lu sans notre rencontre. Mes livres peuvent être encombrants car ils sont une exception dans ce qui nous réunit. D’ailleurs, je pourrais dire qu’il n’est pas question de littérature dans mes ateliers ou plutôt que dire qu’il n’est pas question de littérature dans mes ateliers est une lecture possible de ce qui s’y passe. Bien sûr, une autre est de dire qu’il n’est question que de cela, mais laissons cette dernière interprétation de côté. J’ai accepté de réaliser des ateliers d’écriture le jour où j’ai formulé le projet ainsi : les ateliers d’écriture n’ont pas à voir avec la littérature mais avec le langage. La formule fut pour moi un sésame. Car je considérais la littérature comme un clivage entre « eux » (appelons « eux » ce que j’aurais en face de moi et que je ne connaissais pas) et moi : nous étions donc appelés à nous rencontrer exactement sur un point de fracture, à l’endroit où nous étions différents. J’en déduisais qu’à moins de se prendre pour un missionnaire, ça ne marcherait pas. J’ai donc repensé un jour les termes de cette rencontre. Ce dont il est question dans les ateliers d’écriture, c’est du langage, et le langage est précisément ce qui nous réunit.
La deuxième condition à laquelle je n’ai jamais dérogé est d’être profondément « moi ». Je fais le postulat que tout en moi est travaillé par l’écriture. Ainsi, je ne suis donc jamais hors-sujet. J’ai tout de suite su que ce qui se jouait vraiment m’échappait : si j’arrivais à paraître devant « eux » comme un type plutôt heureux, peut-être original dans son bonheur mais assurément vrai, entier, capable d’entreprendre des nouveaux territoires sans être un manchot dans les autres, si je pouvais marcher parmi « eux » et aussi ailleurs, avec tout mon corps, toute ma personnalité, les convaincre que prendre la langue au sérieux est une manière d’arpenter de nouveaux espaces mais aussi de vivre plus intensément sa vie amoureuse, de mieux aimer le football, la musique, le voyage, alors j’avais une petite chance de gagner. Etre crédible parce que l’on a beaucoup lu sans vraiment parler de lecture est une ambition que je me suis donnée pour être écouté. Je ne le suis pas par tous. Je veux dire, « vraiment » écouté. Mais cela se produit toujours et c’est toujours aussi beau qu’un miracle.
Bien sûr, le « eux » avec lequel je désigne ces participants aux ateliers d’écriture est un mensonge. « eux » sont infiniment nombreux, ne peuvent pas vraiment cohabiter sous le même pronom mais les « eux » qui ne se reconnaissent pas dans ce que j’ai dit auparavant ne posent pas question. Ceux-là ont déjà fait les trois-quart du chemin. Ils sont en attente d’une étincelle qui pourra s’offrir le luxe d’être toute petite. Ils sauront faire du feu avec très peu. Ces « eux » là sont des gens devant un miroir cassé et qui se sont épris de mots ; des étrangers à la langue qui fait la rumeur. Des gens qui ont tant à dire et à qui il manque simplement une circonstance pour être entendus.
Pour revenir à des considérations plus concrètes, oui, la littérature dans mes ateliers d’écriture, est présente par les textes. Oui, presque toujours, nous lisons des textes qui peuvent être beaux, ennuyeux, troublants mais qui ouvrent sur un nouveau regard. Je peux leur dire cela : je n’aime pas ce que nous venons de lire mais ce que nous venons de lire nous montre une manière de voir que je ne connaissais pas. Parfois, j’aime beaucoup ce que nous lisons. Le chapitre VIII des Compagnons de la Grappe de John Fante est l’extrait que j’ai le plus souvent lu. J’aime aussi des textes courts de Lagarce, d’Eugène, de Gilles Moraton (Nina, un portrait), ceux des amis (Christian Garcin, Eric Pessan, Jean-Luc Sarré) ou encore de Gertrude Stein, de Stig Dagerman, d’Edouard Levé, d’Angela Carter. Formidable désordre. Je me sens parfois comme un médecin de brousse désordonné, qui sait posséder sous des piles de papier ce dont il a besoin pour compléter ses phrases.
Les textes que « eux » écrivent ne me concernent que le temps pendant lequel ils les lisent. Mais ceux qui pratiquent les ateliers d’écriture savent que c’est un moment qui peut-être immense. Qui nous enserre tous, tout autant que nous sommes, dans un présent édifiant. Tant de textes produits pendant un atelier d’écriture m’ont rendu heureux pour une matinée ou un jour,. Vraiment heureux. Comme galvanisé. C’est fou ce qu’« eux » peuvent me donner quand ils s’embarquent dans ce petit pas de plus que la vie ordinaire n’exigeait pas.
Parfois, depuis deux ou trois ans, j’essaie de bâtir des projets où le rendu prend plus d’importance. Des projets collectifs pour l’essentiel. Des textes écrits à plusieurs, de manière construite, concertée ou anonyme. Des textes confiés à deux langues parce qu’écrits par des gens ballotés entre deux langues. Des grands textes de six cents phrases écrits par six cents élèves d’un même établissement scolaire par exemple. Je veux laisser chacun seul avec l’opportunité de ressentir cette chose inempoignable, qu’est le sentiment du lecteur ou de l’écrivain. Le sentiment d’être confronté à un plus grand qui est soi mais pas seulement soi. D’une grande liberté confiée à une belle solitude.
La deuxième condition à laquelle je n’ai jamais dérogé est d’être profondément « moi ». Je fais le postulat que tout en moi est travaillé par l’écriture. Ainsi, je ne suis donc jamais hors-sujet. J’ai tout de suite su que ce qui se jouait vraiment m’échappait : si j’arrivais à paraître devant « eux » comme un type plutôt heureux, peut-être original dans son bonheur mais assurément vrai, entier, capable d’entreprendre des nouveaux territoires sans être un manchot dans les autres, si je pouvais marcher parmi « eux » et aussi ailleurs, avec tout mon corps, toute ma personnalité, les convaincre que prendre la langue au sérieux est une manière d’arpenter de nouveaux espaces mais aussi de vivre plus intensément sa vie amoureuse, de mieux aimer le football, la musique, le voyage, alors j’avais une petite chance de gagner. Etre crédible parce que l’on a beaucoup lu sans vraiment parler de lecture est une ambition que je me suis donnée pour être écouté. Je ne le suis pas par tous. Je veux dire, « vraiment » écouté. Mais cela se produit toujours et c’est toujours aussi beau qu’un miracle.
Bien sûr, le « eux » avec lequel je désigne ces participants aux ateliers d’écriture est un mensonge. « eux » sont infiniment nombreux, ne peuvent pas vraiment cohabiter sous le même pronom mais les « eux » qui ne se reconnaissent pas dans ce que j’ai dit auparavant ne posent pas question. Ceux-là ont déjà fait les trois-quart du chemin. Ils sont en attente d’une étincelle qui pourra s’offrir le luxe d’être toute petite. Ils sauront faire du feu avec très peu. Ces « eux » là sont des gens devant un miroir cassé et qui se sont épris de mots ; des étrangers à la langue qui fait la rumeur. Des gens qui ont tant à dire et à qui il manque simplement une circonstance pour être entendus.
Pour revenir à des considérations plus concrètes, oui, la littérature dans mes ateliers d’écriture, est présente par les textes. Oui, presque toujours, nous lisons des textes qui peuvent être beaux, ennuyeux, troublants mais qui ouvrent sur un nouveau regard. Je peux leur dire cela : je n’aime pas ce que nous venons de lire mais ce que nous venons de lire nous montre une manière de voir que je ne connaissais pas. Parfois, j’aime beaucoup ce que nous lisons. Le chapitre VIII des Compagnons de la Grappe de John Fante est l’extrait que j’ai le plus souvent lu. J’aime aussi des textes courts de Lagarce, d’Eugène, de Gilles Moraton (Nina, un portrait), ceux des amis (Christian Garcin, Eric Pessan, Jean-Luc Sarré) ou encore de Gertrude Stein, de Stig Dagerman, d’Edouard Levé, d’Angela Carter. Formidable désordre. Je me sens parfois comme un médecin de brousse désordonné, qui sait posséder sous des piles de papier ce dont il a besoin pour compléter ses phrases.
Les textes que « eux » écrivent ne me concernent que le temps pendant lequel ils les lisent. Mais ceux qui pratiquent les ateliers d’écriture savent que c’est un moment qui peut-être immense. Qui nous enserre tous, tout autant que nous sommes, dans un présent édifiant. Tant de textes produits pendant un atelier d’écriture m’ont rendu heureux pour une matinée ou un jour,. Vraiment heureux. Comme galvanisé. C’est fou ce qu’« eux » peuvent me donner quand ils s’embarquent dans ce petit pas de plus que la vie ordinaire n’exigeait pas.
Parfois, depuis deux ou trois ans, j’essaie de bâtir des projets où le rendu prend plus d’importance. Des projets collectifs pour l’essentiel. Des textes écrits à plusieurs, de manière construite, concertée ou anonyme. Des textes confiés à deux langues parce qu’écrits par des gens ballotés entre deux langues. Des grands textes de six cents phrases écrits par six cents élèves d’un même établissement scolaire par exemple. Je veux laisser chacun seul avec l’opportunité de ressentir cette chose inempoignable, qu’est le sentiment du lecteur ou de l’écrivain. Le sentiment d’être confronté à un plus grand qui est soi mais pas seulement soi. D’une grande liberté confiée à une belle solitude.
Christophe Fourvel
4 avril 2016