Le soleil d’espoir de Katerina Fotinaki
Le soleil d’espoir de Katerina Fotinaki.
Déjà bien avant la crise et pour pouvoir poursuivre ses études de lettres et de musique, Katerina Fotinaki avait dû quitter la Grèce, son pays. Arrivée à Paris, avec ses yeux de braise et ses cheveux noirs, exilée, elle rencontre Angélique Ionatos qui l’invite à la rejoindre sur scène. Elle ne la quittera plus de concerts en concerts, de voyages en voyages. Hier, lors de sa première en solo, avec l’humour profond qui la caractérise, Katerina Fotinaki nous a transportés dans les pouvoirs surnaturels de la musique. Sur la scène, en tunique rouge et noire, les pieds nus, elle semblait sortie d’un récit d’Homère. Pénélope attendant le retour d’Ulysse. Pour tromper son désespoir, elle en appelle à l’incantation originelle du théâtre et de la poésie. Un secret contre le malheur auquel Katerina nous invite avec une simplicité contagieuse, nous rappelant sans bruit la merveilleuse liberté et agilité de pensée de la philosophie grecque. Après l’édition de deux disques, Conjuration nous propose l’expérience d’une représentation où la mélodie, l’harmonie et la poésie donneraient peu à peu naissance aux derniers héros capables de nous sauver : un théâtre pur composé de musique autant que de mots, de guitare et de chant. Dans ce jardin mythologique où la musique est souveraine, où les plus beaux vers fleurissent encore sous les pattes des cigales, poussent le trèfle marin et l’amarante. Cette fleur qui jamais ne se fane. Des plantes miraculeuses qui, lorsqu’on a la chance de les cueillir, sont susceptibles de nous protéger de l’impermanence tragique de l’amour.
Une fois tous les mille ans, les lutins de l’océan
Au-milieu des algues noires, et de la verte rocaille
Le sèment et le voilà qui germe, avant que le jour ne se lève...
Sans ces merveilles de la nature, lorsque le paradis d’aimer s’envole à notre plus grand regret, ne sommes-nous pas tentés de céder aux paradis artificiels ? Mais si, malgré l’usage de ces plaisirs, nous ne parvenons guère à oublier notre chagrin, la folie pourra venir s’en charger. Alors, pour ne pas mourir à nous-mêmes, par l’incantation musicale du verbe et ses pouvoirs magiques, le temps viendra pour nous de conjurer ce mauvais sort. Mais la poésie aura-t-elle le pouvoir d’amadouer durablement notre douleur ? De nous désaliéner de la perte et du chagrin ? De nous restituer notre capacité d’aimer ? Toutes ces questions universelles seraient déjà amplement suffisantes à occuper nos vies s’il n’y avait aussi la guerre pour venir allumer ses feux ravageurs. Et c’est bien là où ce concert veut en venir. Katerina nous parlera de l’Europe, témoignant de nos peurs, de cette violence qui flambe : L’Orient cherche son souffle et l’Occident s’enflamme/ Des loups les peuples ensemble ils aiguisent haine et couteaux (...) Pour quel tyran et quelles couronnes travaillent les sorciers au ventre de la terre ?
Comme le public entré en communion avec Katerina Fotinaki, j’ai aimé cette manière de partir du jardin intime de l’amour pour terminer sur les champs brûlés par la violence des nations. Une insoutenable réalité économique et politique auxquels les mots du poète n’oublient pas de répondre :
Tes dieux sont vivants et toi avec eux.
La victoire glorieuse viendra un jour : Démocratie.
Entre le monde et nous, un rêve de démocratie est venu s’écrire le temps de ce concert bouleversant où le rire emporte nos larmes dans ce soleil d’espoir que célèbrent les cigales :
– « Eh vous ! Mes cigales messagères
Dites-moi, je vous en prie si le roi-soleil vit ?
Et toutes en chœur ont répondu :
– Il vit, il vit, il vit, il vit Zei-zei-zei-zei-zei. »
En sortant de la salle, je crois que nous emportions tous un peu du secret de Katerina Fotinaki. Espérons pour la paix qu’il sera partagé par le plus grand nombre.