Les Jungles Plates de Jean-Patrice Courtois
Un saut de côté justement,
soir après soir en planant
les messages soustraits
aux pensées arrivent
Paul Celan
Plus de formes poétiques reconnaissables.
Jean-Patrice Courtois n’est pas assujetti, rivé à une forme, son écriture fraye à l’écart des chemins trop arpentés. Loin d’être captif d’une forme préétablie, estampillée poésie, loin d’un certain maniérisme ou d’un style trop immédiatement reconnaissable, il fait un pas, un saut de côté justement. De par sa veille extrêmement aiguë de la langue, il maintient cependant le lien avec la poésie – pas de sortie hors de celle-ci, pas de disparition – non, il la déplace, il la renouvelle. A l’écart, obéissant à d’Autres lois de gestation lentes (183), il se risque, avance avec trouble, nous propose une écriture aventurée qui se donne ses propres règles.
… se déligoter de sa langue, n’est-ce pas, sans les apparences actuelles (211)
Il ne s’abrite pas derrière un savoir qui viendrait légitimer sa pratique.
Il ne cède pas au discours, se met à découvert, fait front depuis la langue.
Les Jungles Plates se présente à nous comme une sollicitation aux jeux et émotions de la pensée. C’est un espace de méditation où l’on assiste aux frémissements d’un cerveau en marche, à ses complications, plis et plissements. Précisons : un lieu où s’émeut le sens, où « les actes de la conscience ne sont pas des jugements, mais des sentiments », où Les affects sont nombreux à voyager en
clandestins… (195)
Jean-Patrice Courtois avance à coups de détours (28), par séries, accumulations, répétitions, il active toutes les ruses de la logique – analogies, oppositions,
symétries, tout un étayage dès lors complexe d’éléments instables, « mobiles » (titre de la première partie du livre), prolifération de « points singuliers et remarquables », combinaisons aléatoires d’éléments par eux-mêmes problématiques, frictions de sens et heurts acoustiques…
Il parle depuis cet instant où parler devient le plus difficile, là où la pensée trouve en elle quelque chose qu’elle ne peut pas penser. Pensant après la pensée, après, autrement dit à partir du point où la pensée cesse, il trouve en lui la force de se maintenir en cette précarité, ne cesse de « relever les mots », persiste dans cette mise à nu de l’acte de penser.
… il n’y a pas été conduit par la réflexion, mais jeté par une poussée.
Il fait tourner les mots et les figures, il affole le sens. Dépassé, débordé sans aucun doute, il accueille son propre excès, se délivre de lui-même pour laisser passer l’impulsion créatrice irréfléchie. Le geste d’abord. Le mot, la phrase qui s’échappe du corps/cerveau. Aller plus vite que la conscience.
Un tracement fragile et sûr.
La phrase qui ne sait trace une ligne d’attention, une ligne d’insistance, d’obstination et de patience. Loin de s’abandonner à la confusion, il est attentif aux plus fines articulations de la syntaxe. Cette obstination dans la tourmente requiert la plus grande vigilance, la plus grande précision.
Je suis allé à la parole pour qu’elle soit mon geste. (E. J.)
On l’aura compris : pas de point de départ ferme qui assurerait de sûres fondations (le sens effondé). Jean-Patrice Courtois ne construit pas un édifice mais un échafaudage de voix adossées au vide, une construction malléable : [...] j’use de n’importe quel canal de référence venu, du moment que les consonnes enfantent un architecte à la souplesse infatigable. (182) Ou bien une chorégraphie verbale – en quatre séries rythmiques. La danse en son mouvement de « ligne dans » agitera la syntaxe par retournement des choses et des tons. (195)
Jean-Patrice Courtois ne nous fait pas le coup de la révélation poétique. Son écriture ne nous assure de rien, ne nous donne aucune certitude, aucun résultat, aucun bénéfice. Elle est absolument aventureuse.
Il ne cesse d’affirmer l’espace d’une radicalité. Affrontant sans se détourner le désemparement, il expose le champ infiniment problématique de l’écriture poétique d’aujourd’hui.
Mais ne soyons pas à notre tour trop sérieux. L’exigence ici rencontrée n’est pas synonyme de sécheresse, Jean-Patrice Courtois n’oublie pas la part du jeu, de ce jeu qui ruine le grand sérieux du sens. Il joue et trouve dans le jeu la force de surmonter ce que le jeu entraîne.
Et je ne sais pas ce que je dis, et le redire ne le fait pas chanter. Je parle avec
la peur comme langue, enfance espace pas encore tout ouvert. (213)
Jean-Patrice Courtois n’est pas assujetti, rivé à une forme, son écriture fraye à l’écart des chemins trop arpentés. Loin d’être captif d’une forme préétablie, estampillée poésie, loin d’un certain maniérisme ou d’un style trop immédiatement reconnaissable, il fait un pas, un saut de côté justement. De par sa veille extrêmement aiguë de la langue, il maintient cependant le lien avec la poésie – pas de sortie hors de celle-ci, pas de disparition – non, il la déplace, il la renouvelle. A l’écart, obéissant à d’Autres lois de gestation lentes (183), il se risque, avance avec trouble, nous propose une écriture aventurée qui se donne ses propres règles.
… se déligoter de sa langue, n’est-ce pas, sans les apparences actuelles (211)
Il ne s’abrite pas derrière un savoir qui viendrait légitimer sa pratique.
Il ne cède pas au discours, se met à découvert, fait front depuis la langue.
Les Jungles Plates se présente à nous comme une sollicitation aux jeux et émotions de la pensée. C’est un espace de méditation où l’on assiste aux frémissements d’un cerveau en marche, à ses complications, plis et plissements. Précisons : un lieu où s’émeut le sens, où « les actes de la conscience ne sont pas des jugements, mais des sentiments », où Les affects sont nombreux à voyager en
clandestins… (195)
Jean-Patrice Courtois avance à coups de détours (28), par séries, accumulations, répétitions, il active toutes les ruses de la logique – analogies, oppositions,
symétries, tout un étayage dès lors complexe d’éléments instables, « mobiles » (titre de la première partie du livre), prolifération de « points singuliers et remarquables », combinaisons aléatoires d’éléments par eux-mêmes problématiques, frictions de sens et heurts acoustiques…
Il parle depuis cet instant où parler devient le plus difficile, là où la pensée trouve en elle quelque chose qu’elle ne peut pas penser. Pensant après la pensée, après, autrement dit à partir du point où la pensée cesse, il trouve en lui la force de se maintenir en cette précarité, ne cesse de « relever les mots », persiste dans cette mise à nu de l’acte de penser.
… il n’y a pas été conduit par la réflexion, mais jeté par une poussée.
Il fait tourner les mots et les figures, il affole le sens. Dépassé, débordé sans aucun doute, il accueille son propre excès, se délivre de lui-même pour laisser passer l’impulsion créatrice irréfléchie. Le geste d’abord. Le mot, la phrase qui s’échappe du corps/cerveau. Aller plus vite que la conscience.
Un tracement fragile et sûr.
La phrase qui ne sait trace une ligne d’attention, une ligne d’insistance, d’obstination et de patience. Loin de s’abandonner à la confusion, il est attentif aux plus fines articulations de la syntaxe. Cette obstination dans la tourmente requiert la plus grande vigilance, la plus grande précision.
Je suis allé à la parole pour qu’elle soit mon geste. (E. J.)
On l’aura compris : pas de point de départ ferme qui assurerait de sûres fondations (le sens effondé). Jean-Patrice Courtois ne construit pas un édifice mais un échafaudage de voix adossées au vide, une construction malléable : [...] j’use de n’importe quel canal de référence venu, du moment que les consonnes enfantent un architecte à la souplesse infatigable. (182) Ou bien une chorégraphie verbale – en quatre séries rythmiques. La danse en son mouvement de « ligne dans » agitera la syntaxe par retournement des choses et des tons. (195)
Jean-Patrice Courtois ne nous fait pas le coup de la révélation poétique. Son écriture ne nous assure de rien, ne nous donne aucune certitude, aucun résultat, aucun bénéfice. Elle est absolument aventureuse.
Il ne cesse d’affirmer l’espace d’une radicalité. Affrontant sans se détourner le désemparement, il expose le champ infiniment problématique de l’écriture poétique d’aujourd’hui.
Mais ne soyons pas à notre tour trop sérieux. L’exigence ici rencontrée n’est pas synonyme de sécheresse, Jean-Patrice Courtois n’oublie pas la part du jeu, de ce jeu qui ruine le grand sérieux du sens. Il joue et trouve dans le jeu la force de surmonter ce que le jeu entraîne.
Et je ne sais pas ce que je dis, et le redire ne le fait pas chanter. Je parle avec
la peur comme langue, enfance espace pas encore tout ouvert. (213)
Pierre-Antoine Villemaine
Les Jungles Plates de Jean-Patrice Courtois est paru en 2010 aux éditions NOUS, ISBN : 978-2-913549-37-1
6 avril 2011