Les nuits de Paris
Trois cent quatre-vingtième Nuit
J’avançais les yeux tournés à ma droite, lorsqu’une des claies des vendeuses de pins me tomba sur la tête. Une quinzaine de petits accessoires circulaires en métal émaillé de bonne qualité présentait des noms célèbres en Courier New de couleur blanche, rouge ou bleue sur fond blanc, noir, rouge ou bleu. Outre la crainte d’avoir le crane transpercé par un pic, je préparai mon âme à toutes les douleurs, le formalisme de Clémence, l’iconoclasme d’Annie, la mesure d’Alberte, la démesure de Francine, le mysticisme de Josephine, les billevesées de Marcelle et les rigidités de La Corbusier, mais quoique je craignisse de la façon dont Louis Bourgeois porterait si majestueusement debout sa belle bite je passai. Je traversai le Palais-Royal ou les pétards retentissaient.
Deux cent vingt-septième Nuit
Il ne s’est pas écoulé une seule année, que je n’aie vu des infamies faites par les masques. Dans le souvenir inverse des chaussettes et de la chemise ne m’intéresse que le tissu des citations. La peinture, personnage conceptuel, est un espace à dimensions multiples. Faut pas me raconter des histoires, c’est une inattention aux choses du ciel et de la terre qui fait la loi de la gravitation. Le linge à l’autre bout de la planète sèche dressé et aucune pince à linge n’existe qui ne soit accessoire entre divers vêtements. Rien n’est possible en dehors du vide entre les habits de l’une et de l’autre moitié : au centre, espaces blancs, à peine séparés d’un trait d’ombre. Contre mon espérance les visages dissimulés jouent Guerre et Paix. Un des masques chargé des divers langages du monde proposa de réduire en esclavage les vaincus, et de faire les femmes captives.
Quatre-vingt-septième Nuit
Les promenades nocturnes, qui étaient mon plaisir, ont toujours été utiles, ou j’ai du moins toujours cherché à les rendre telles. Entre l’apparence de la réalité et la réalité de l’apparence de l’espace d’exposition, des perruques extravagantes tranchent inéluctablement devant une peinture d’une scène de rue à Milan en 1968, une sorte d’article de journal agrandi posant des questions d’engagements, de positions, de lieux et de non-lieux, de ce qui fait qu’un espace devient ou non un lieu d’émergence et/ou de création, et un fragment d’une œuvre qui représente un entassement de bonbons peints. Agnès, Julie, Sandrine et Ezio, présentées par Le voleur des filles (dont le seul accessoire était un petit chapeau de ville) interprétèrent Notre Histoire. Je ne vis rien d’extraordinaire, sinon que cet homme était encore libertin un peu tard.
Première nuit
J’errais seul dans les ténèbres, en me rappelant tout ce que j’avais vu depuis trente ans. La composition radicale et de facture franchement anatomique de cette peinture ne comprend qu’une ouverture qui suit une courbe telle que la vision est inaccessible tant que les yeux n’ont pas traversé l’intérieur des cuisses, du pubis, de la vulve, du ventre et de la naissance des seins peints en raccourci sous une étoffe blanche. Mon véritable regard sur cette oeuvre généreuse est le déplacement d’un prénom masculin en prénom féminin. La Nuit de l’Origine à jamais insaisissable par tous les Khalil-Bey du monde laisse agir ses seuls bienfaits, sa prudente magnanimité, dans l’accessoire de noms d’emprunt dont aucun n’est originel : peinture et texte sont une liste éparpillée à l’horizon d’un catalogue. C’est un baume salutaire, qu’un lieu chéri !
Toutes oeuvres copyright Agnès Thurnauer