Les secrets de Tessa Hadley
Le Passé, traduit de l’anglais par Aurélie Tronchet, a paru aux éditions Christian Bourgois.
Les maisons sont des huis clos excitants pour les metteurs en scène.
André Téchiné ne s’y est pas trompé (Ma saison préférée, entre autres), Arnaud Desplechin non plus (Un conte d’hiver).
Qu’on pense également à Tchékhov. Si je cite le théâtre et le cinéma, c’est parce que les maisons cristallisent les liens de famille, les conflits, les oppositions, les amours, les passions, les haines, les rancœurs. Les romanciers, aussi bien, le savent.
La Britannique Tessa Hadley, dont c’est le premier livre traduit en français, signe l’une de ces fascinantes mises en scène.
Trois sœurs, un frère, leurs épouses, leurs petites amies, leurs filles, belles-filles ou ce qu’on voudra, débarquent dans l’ancien presbytère de Kington un été. Sans doute le dernier été, car il s’agit de mettre la maison en vente.
Les familles, on le sait, se dispersent aux quatre coins du monde, les liens s’étiolent, se distendent, mais lorsque sœurs et frères se retrouvent, quelque chose se rejoue de l’enfance et du passé. Les autres demeurent à la périphérie, exacerbant parfois les liens primitifs et anxiogènes du cercle familial. Liens toujours démesurés. Tragiques et ridicules.
Harriet, Alice, Fran (Françoise), Roland doivent prendre une décision car la maison se détériore un peu plus chaque année. Les femmes sont au centre de ce livre, puissantes. Parmi les personnages périphériques, c’est encore une femme, Pilar, qui fera flamber une ultime passion. Et ce sont deux enfants, ceux de Fran, doublés de deux jeunes gens, qui déplaceront le centre de gravité du roman vers une autre maison, abandonnée, symbole d’ascension amoureuse et de chute.
Les secrets toujours se rejouent chez les êtres humains, parfois dans les lieux qu’ils ont choisis à des années de distance.
Le talent de Tessa Hadley est d’être imprévisible. Cela est dû en grande partie à la façon douce qu’elle a de mener son histoire. À l’attention qu’elle porte au paysage, comment elle en traduit la la beauté. Sensations d’eau, de forêt, de soleil : on croit toucher, voir et entendre. Dans la maison, c’est pareil, chaque pièce traduit une présence en même temps qu’une histoire. On est plongé dans la maison et ses environs, dans les trajets de chaque personnages et ils sont nombreux — neuf, sans compter les voisins — bref, on vit une sorte de vacance, de parenthèse hypersensible, à vif, le temps d’un été.
On ne sait pas du tout vers quoi on va, la vente de la maison — l’enjeu initial — ne semble plus si importante, Tessa Hadley nous emmène ailleurs, de promenades en dîners, de tensions en aveux, de jalousies en idylles. Bien sûr on pressent quelque chose. Une explosion ? Un drame ? Une révélation ? Tout cela, et pas tout à fait. Je ne dirai rien de la construction du livre pour en laisser aux lecteurs l’étonnement. Rien non plus de ce qui va se jouer.
Le Passé est un beau roman sur les vies et sur les familles, ses heures de gloire, ses échecs, ses non-dits, ses élans, ses renoncements. Le passé, ce n’est pas seulement ce qui est fini, c’est ce qui resurgit, ce qui est au commencement, moins la mémoire que l’enfance. L’enfance en soi, jamais disparue, instinct et savoir mystérieux qui échappent à la raison et aux années, si on veut bien écouter, entendre, sentir au plus près de soi. Car « seuls les enfants voyaient tout ». Il faut croire que nous sommes devenus bien adultes pour n’avoir pas deviné, ou bien c’est que Tessa Hadley est une écrivaine très talentueuse.