« Les vitrines regardent dehors. Elles sont privées d’envers. Et tel envers ne leur manque pas. »

10 vitrines à L’odeur du book — quelques questions à Luc Bénazet, au sujet de sa résidence à la librairie L’Odeur du book (Paris XVIII)



1 À la fin de cette résidence, parviens-tu à percevoir ce qui se passa — ce qui se passa en et hors de toi ?


Je ne savais pas comment te répondre. Je lisais justement ta question à la lettre et l’appel à un retour à soi m’embarrassait. Je ne voyais pas quelle fiction proposer. Je n’écris pas de journal. Le travail en résidence a consisté en ces vitrines de livres, que d’autres que moi ont bien voulu composer : Chiara Malta, la revue Ligne 13, Michèle Cohen-Halimi, le collectif exemple, Victoria Xardel, les éditions CHATEAUX, Jean Daive, Bernard Collin, Nicolas Bouyssi. Je pourrais continuer avec d’autres encore, que je souhaiterais également inviter. Par bien des aspects, ces vitrines voisinent en littérature avec la revue. Je peux les regarder chacune comme un sommaire : alors, quitter la rue et entrer dans la librairie, prélever un livre et commencer de lire. Aussi, j’envisage une nouvelle série de vitrines cette fois conçues chacune comme un numéro de revue complètement réalisé, tous les éléments — textes, images, sons et actions — étant rendus publics à une date donnée, mis en vitrine. Les vitrines regardent dehors. Elles sont privées d’envers. Et tel envers ne leur manque pas. Les vitrines ne reconduisent pas l’illusion d’un langage, que l’on aurait, bien à soi, et personnel. Qui prétendrait les posséder ? Comme les faits de littérature, elles appartiennent à l’autre.



2 – Quel effet une résidence de cette sorte a-t-elle produit sur l’écriture — a-t-elle été modifiée, changée, questionnée ?

Le premier effet, c’est recevoir de l’argent de l’État. 10000 euros puis 10000 euros à nouveau. Ça repousse les caps de l’angoisse, — à supposer que l’on soit angoissable. La question économique, donc politique, aussitôt qu’on la pose, est d’emblée commune, partagée. Comment dire non à telle aliénation ? À cette économie de l’angoisse. Je n’ai pas trouvé la réponse, c.-à-d. Je n’en sors pas. Donc je travaille, pour gagner de l’argent. L’écriture entre le matin de préférence. Plus tôt que les blocs de durée bien solidifiés par la raison économique et qui nous châtrent de tout ce que l’on aime, à commencer par ne rien faire du tout.

Lorsque j’ai bénéficié de ce programme de la région Île-de-France, pendant cette période, de septembre 2014 à juin 2015, je pensais me réjouir de la parution de deux livres, aux mois d’octobre (Unités) puis de janvier (Articuler). C’était le contraire. Je ramais sans direction, ne commençais rien de nouveau. Et puis au mois de février, une esquisse. Par accident, le début d’un livre.



3 – Par accident ? Peux-tu en dire plus sur ce livre, sur son moteur, sa manière ?


Oui, par accident. Il y a un moment qui dure, sous l’emprise d’un ne pas. Et puis, il y a une sortie. Quelque chose commençe, mais on ne le sait pas encore, parce que ça nous divise d’abord. Et puis, encore après, je peux voir que je suis découpé et surtout, dans quelle direction roule la tranche. Enfin, c’est ce qu’il convient d’examiner, afin d’éviter les erreurs. Alors, je suis la pente et ne sais bien sûr pas où je vais. On pourrait appeler ça Le temps réel. C’est un début, il serait donc tôt pour le montrer.


(Entretien avec Guénaël Boutouillet, août 2015)

31 août 2015
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