Martin Bruneau expose ses oeuvres futures

La dernière exposition de Martin Bruneau était l’aboutissement d’un long travail qui puisait ses sources dans l’histoire même de la peinture. Il est encore trop tôt sans doute pour dire avec précision quelle sera la direction que prendra le travail désormais de Martin Bruneau, l’exposition qui ouvre ses portes 12 mai à18 heures (vernissage) &#151 jusqu’au 22 mai (jeudi vendredi et samedi de 18H00 à21H00 et sur rendez-vous au 06 60 23 56 30) au 99 de la rue Vaugirard (Métro Saint-Placide) &#151 fournit de premiers éléments de réponse. Ce sont effectivement les derniers dessins du peintre (accompagnés d’une des premières toiles de la série Héroïques) qui donnent àvoir donc les premières étapes d’un parcours qui ne fait que commencer. Il y làd’ailleurs une grande rareté, celle d’exposer croquis et études d’un travail qui est encore en devenir, l’époque étant habituellement davantage préoccupée d’exposer ce travail de préparation après coup, mais Martin Bruneau préfère sans doute se mettre en danger, celui de montrer la fragilité de la démarche et aussi un peu le chemin qui lui reste àparcourir dans cette nouvelle direction.


A propos de la dernière exposition de Martin Bruneau

La peinture de Martin Bruneau est une affaire bougrement ambitieuse. Vous êtes peintre àla fin du vingtième siècle, début du XXIème siècle. Comme tant d’autres, vous vous êtes abondamment nourri de la peinture classique comme de ses développements modernes et contemporains et vous apparaît alors que les enjeux des peintres, de tous les peintres, quelle que soit leur époque, ne sont pas fondamentalement différents, qu’ils ont tous en charge la représentation de l’homme dans le monde qui l’entoure, l’homme a agrandi le champ de ses connaissances, et le monde ne lui apparaît plus tout àfait de la même façon : le problème de cette représentation s’enrichissant reste donc entier. Pire, vous même, peintre, vous pressentez bien comment votre peinture se pose, elle-même, la question de cette représentation.

Vous êtes alors face àd’écrasantes responsabilités, il va désormais falloir que votre peinture soit àla hauteur de ces questionnements. Martin Bruneau n’est pas peintre qui fuirait facilement de tels défis. Le voilàdonc, depuis quelques années déjà, aux prises avec les grands peintres de la peinture classique. De même qu’aux peintres débutants on conseillera volontiers de poser leurs chevalets devant les toiles des plus grands et de copier, ce faisant de mettre leurs pas dans ceux de leurs illustres ainés, et, peut-être, s’ils sont attentifs, auront-ils le privilège, avec force labeur, d’effleurer du doigt un peu du mystère de cette peinture. Martin Bruneau n’est pas exactement un débutant, c’est pourtant avec beaucoup d’humilité qu’il étudie les grands maîtres et ce faisant tente de les faire dialoguer avec quelques notions de peinture plus contemporaines telles que l’abstraction.

Où l’on découvre un portrait d’après Van Dyck &#151 d’autres peintres encore vont connaître les mêmes traitements, Rembrandt, Goya, Gainsborough, Zurbaran, ou encore Le Titien &#151 scindé en deux, deux parties disjointes et renvoyées vers les deux extrémités du tableau pour laisser le centre de la toile àun fond sombre duquel jaillit un thème abstrait cher àla peinture de Martin Bruneau : le quadrillage. Il y a làquelque chose d’assez miraculeux dans ce torpillage respectueux. Regardant la toile de Martin Bruneau, juste intitulée d’après Van Dyck on remarque comment ce portrait comprend en son sein ce dérapage vers l’abstraction, comment le traitement des nombreuses circonvolutions de la riche robe sont autant d’appels àdes motifs non figuratifs, làmême où se tient le véritable plaisir du peintre, pas seulement la fidélité de sa représentation qui est davantage une affaire de technique &#151 d’ailleurs Martin Bruneau ne s’astreint pas àune copie très fouillée des modèles anciens, parce que la fidélité et la ressemblance ne font pas partie de son questionnement &#151 mais bien plutôt le jeu libre avec la couleur et les valeurs.

Ce portrait d’après Van Dyck se complique, de plus, par l’ajout d’une toile sur la toile, étonnant chevauchement au centre de la toile, on pense alors àJasper Johns, non seulement pour cet ajout tridimensionnel àune toile, mais aussi pour cette préoccupation que le peintre américain avait laconiquement résumée I am only trying to make pictures (j’essaye seulement de fabriquer des images). J’imagine que Martin Bruneau pourrait en dire tout autant et de se livrer àcette préoccupation constante d’essayer sans cesse de priver une partie de l’image de sa signification au profit d’une curiosité entièrement visuelle.

Nous sommes làau centre du questionnement même de la peinture. Dans la matière même. Lorsque Martin Bruneau hachure sa toile ou la macule de fonds qui se chevauchent pour lui donner son épaisseur, il pétrit la matière, le magma même de la peinture, pour nous montrer, en laissant le travail visible, le devenir de cette matière, chaque couche est encore discernable et dans cet enchevêtrement il n’est pas toujours possible de déterminer dans quel ordre se situe les plans. Telle partie quadrillée de la toile apparaît comme au dessus de tous les plans dans le haut de la toile et son prolongement dans le bas de la toile semble au contraire comme disparaissant derrière d’autres niveaux de cette même toile. Un tel traitement donne àvoir les différentes étapes de la construction fragile d’une toile, mise en abyme qui s’accentue, de fait, quand ce sont plusieurs époques de l’histoire même de la peinture qui cohabitent sur la même toile.

Quelle gageure et quel incroyable tour de force d’y parvenir !

8 mai 2005
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