Martine Drai | Le cœur n’est pas moderne

  Depuis l’automne 2006, les lecteurs de remue.net ont suivi avec plaisir et émotion les chroniques parisiennes de Martine Drai.

  Jusqu’au lundi 7 avril inclus, vous aurez autant de plaisir et d’émotion à voir Le cœur n’est pas moderne au Théâtre de l’Atalante, place Charles-Dullin, Paris 18e.
Réservations au 01.46.06.11.90.

  C’est une comédie-tango - comme on disait une « comédie-ballet » - que Martine Drai a écrite et mise en scène pour quatre excellents interprètes-danseurs : Catherine Davenier, Hervé Falloux, Dominique Léandri, Jean-Sébastien Rampazzi.
  Le thème de la danse évoque Le Bal créé et mis en scène par Jean-Claude Penchenat et interprété par la troupe du Campagnol en 1981, puis filmé par Ettore Scola en 1983. À cette différence d’angle près : là où Jean-Claude Penchenat, en racontant l’histoire des bals de 1936 aux années 80, déroulait l’histoire de la société française : Front populaire, Seconde Guerre mondiale, guerre d’Algérie, Mai 68…, Martine Drai, en donnant la parole aux corps dansants, met des mots et des images sur le dialogue entre ce qui, dans le corps individuel, danse ou ne danse pas. et tout à la fois magnifie, cristallise et déstructure les rôles, masculin et féminin, des partenaires du tango. Des histoires se racontent dans cette pièce, l’histoire d’hommes et de femmes et l’histoire de ces rôles que chacun accepte ou refuse avec violence ou humour. Et tandis que le corps danse avec plus ou moins de liberté, plus ou moins de talent, le cœur, lui, cogne sous les chaussures à talons, les figures de la danse et l’exil d’un accordéon argentin.

  Martine Drai présente son texte ainsi :
  « Ici on raconte comment des hommes et des femmes vivent leur pratique du tango. Différentes manières d’être là homme ou femme, l’un ou l’autre ou les deux successivement…
  38 séquences pour une vingtaine de voix.
  Certaines de ces voix portent des prénoms, ce sont celles qui reviennent plus d’une fois.
  Mais il y a là, avant tout, une sorte de courant de paroles, tel qu’il se pourrait se fabriquer dans la mémoire de quelqu’un qui danse depuis longtemps – quelques centaines de soirées. »

Extrait, scène 26, Anna :

J’ai pensé à nous… Mais en buvant mon thé j’ai pris conscience de quelque chose… je me suis dit : je danse le tango depuis onze ans, bien sûr il y a les visages habituels, ceux qu’on retrouve, les copains… mais il y a tous les autres, les visages qu’on oublie… je pensais à nous, à nous tous… je pensais : tant de visages oubliés multipliés par nous tous… Nous avons en nous tous une foule de visages oubliés… une foule… innombrable… Et de là j’en suis venue à voir plus loin, à imaginer tous ceux qui dansaient à la minute même un peu partout dans le monde… je voyais que partout, à des milliers de kilomètres à l’ouest, à l’est, au sud, au nord, une danse commençait, une danse finissait… et ça recommençait, partout, continuellement… Je me suis levée de mon canapé pour aller ouvrir un atlas… Et pendant que mon thé refroidissait je savais qu’il était dix heures à Moscou… et maintenant que je te parle il est là-bas à peu près minuit, et des gens ont fini de danser, ils remettent leurs manteaux, ils vont rentrer chez eux… J’ai passé une bonne partie de ma soirée seule avec des milliers de gens qui dansaient tous en même temps mais pas à la même heure… à Moscou, à Lisbonne, à New York… Voilà. Tu vois, c’était une belle soirée… C’était aussi bien que danser… Je me demande même si ça ne va pas m’entraîner à recommencer… à m’absenter plus souvent…


Le texte de Le cœur n’est pas moderne a paru aux éditions Le bruit des autres, comme de nombreux textes de Martine Drai, théâtre, récits et poème narratif.

25 mars 2008
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