Bozena Keff | De la Mère et de la Patrie
Plantation contre la liberté
Narratrice
La Mère a une plantation contre la liberté, où elle
cultive SOUFFRANCE et MATERNITÉ
Laquelle, paraît-il, est bonne par nature. Ainsi
Ornée du germe de l’innocence
Comme la légion romaine lourdement armée, comme l’Armada des Rois Catholiques,
Comme le serpent à plumes de la Luftwaffe,
Elle fonce droit devant, pique au sol et remonte. Pour terrifier, elle agite ses longues langues.
Et qui lui chercherait noise ? Qui ajouterait à sa peine ? Seulement une désespérée.
Ou bien un déserteur en proie au délire.
D’ailleurs les esclaves qu’elle appelle ma chère enfant
Vivaient dans la misère et on les lynchait pour un rien. Pour avoir osé ne pas téléphoner
Cinq fois par semaine, pour ne pas écouter la mâchoire
Qui ne sait que faire, alors, de son ouverture.
Seule entre ses quatre murs.
Le Chœur
Peu importe la peine qu’on se donne, s’il n’y a pas de liberté, il n’y en a pas.
Et cette femme malheureuse toujours seule entre ses quatre murs !
Ni satisfaction, ni soulagement, ni libération ; les revendications ne diminuent pas.
Ni vivre, ni mourir.
Narratrice
Dans les cabanes des esclaves le temps de l’agitation est venu. Ils complotent et chuchotent,
Propulsés par les hormones de la puberté ils se révoltent et veulent faire des projets à leur guise !
Un certain Nat Turner les soulève et les lâche. Les esclaves, dit-il, sont comme des orphelins,
Et pour les gens et pour les dieux, qu’avez-vous donc à perdre ? Vous êtes comme
un bon morceau de chair, viande que vous êtes, qu’avez-vous donc à perdre ?
La nuit ils surgissent des cabanes avec des torches, des couteaux et des cordes,
ils taillent incendient assassinent violent ; crient qu’eux aussi sont humains !
EUX AUSSI SONT HUMAINS, fini, cet esclavage !
— Mais dans l’Esclavage, qu’est-ce qui n’allait pas jusque là ? – demande la cultivatrice – Ne t’ai-je pas nourri ?
Ne t’ai-je pas habillé ? Ne t’ai-je pas administré
de laxatif quand tu étais encombré ? Ne disais-je pas « oncle Nat » ?
Comme si, sans exagérer, tu avais été un homme blanc, ingrat
singe noir, pédé, juif, rebut, mécréant, traître, tapette, gueule de bolchévique !
Vous pouvez découvrir ICI d’autres extraits de ce texte sur le site retors
Le texte
L’auteure
Bozena Keff est l’une des premières chercheuses à s’intéresser, en Pologne, au lien entre nationalisme et construction culturelle de l’identité sexuelle. Ses textes critiques mettent en avant les aspects discriminatoires de la culture polonaise (misogynie, homophobie et antisémitisme).
Les traductrices
Née à Auch en 1977, Sarah Cillaire est dramaturge et metteure en scène. Son travail d’auteure se lit sur le site Séries.
Elles ont cofondé la revue en ligne de traduction littéraire Retors.
La photo d’illustration provient du spectacle de Jan Klata
*Une lecture de ce texte, suivie d’une rencontre avec l’auteure, aura lieu le lundi, 24 novembre à 19h30, au Théâtre Laboratoire
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