Maryse Mahmoudian-Renard | La robe de Madge
Ce texte est inspiré par la robe de Madge Gill, faite de fragments de tissus et de tricot, exposée au musée d’Art Brut de Lausanne. Mais il n’en est en aucun moment une description.
Maryse Renard
Novembre 2006
Premier jour
Un fil une ligne
Un nœud premier signe
Piquer au centre du nœud repiquer
piquer encore faire un noyau dur de
mailles tassées caillou feutré et
tourner tourner tout à l’entour contourner
dévider ladouleurlenoir en couleurs
nuances violet jusqu’au rouge
devient jaune devient vert jusqu’au
pâle
très pâle la lisière du vertige
Assez
Reprise
Entre les seins val jusqu’à la
gorge remonte une chaîne de soie
lavande pâle mauve tresse douceur
et murmure qui chantonne
et douceur jusque sous les
paupières le noir velours nuit
d’étoiles retombe volubile
sur les lèvres qui se gonflent
tresses défaites au contour des
épaules comme reprises en un
écheveau souple de satin brun
passe sous le sein
soulève le téton œil bouche aride
demande la langue de soie
chiffonnée lécher âpre
dans un délire de soie rose
inattendu palpite s’apaise retombe
Pause
Reprendre l’ouvrage
Devant
Du satin prairie lisse dessine
l’escarpement sous la hanche
paysage calme repos du jeune
amour
Mais les lèvres
rêvent suivre sous la pâleur
soyeuse la douce chaleur
chercher les soies plus rudes
dessous la robe présentes
devinent déchirée une faille
pourpre festonnée d’épines
Un lieu une soif sans nom cri et
feu
Panique
Passe sur la hanche une rude
balafre de coutil gris
le ventre en bribes de lin reste
friche inachevée
Ensuite
Du plat de la main l’ouvrage lissé
Velours l’épaule
velours lissé dans son couchant où
la lumière est profonde
la soie froissée le sein
le taffetas crissant se déchire
diagonale
sur la hanche l’aine le mont soyeux
sur du pourpre dans l’obscur que
la main ignore
corps incomplet lambeaux de robe
à relier un conte par bribes à
démêler du silence
L’aiguille pour un temps reste
abandonnée
Puis
la main revient élabore des ruchés
crispés insiste s’attarde
tarde maille à maille sur la chaîne
de maille se trame une armure
lamée une croisure de rubans
Opaque
Revient sur la hanche greffe une
jonchée pétales d’étamine de là un
méandre parme et ambre s’évase
mêlé de griffures intenses cobalt
cinabre suit la trame se perd - on
ne sait - le long de la jambe dans
l’ampleur de plis sans cesse
ondoyants
Un lien se rompt affleure dans la
déchirure un parfum une source de
désir l’espace voilé sans nom
se refuse
Poursuivre
Entrelacs historiés de vies
oubliées d’anciennes romances
fragments deuil et fête ramenés au
jour
tissus broderies dentelles reliés
de couleurs choisies une ample
voilure à la danse docile et
dans la danse ce frôlement
autour des jambes au creux des
jambes ornière où la douceur
s’assemble
la paume s’ouvre offerte
l’aiguille retombe
monte un songe d’eaux profondes
ouvrage en suspens
Puis enfin
A pleine brassée d’étoffe jusqu’au
visage soulevée - furtivement yeux
clos les lèvres frôlent douceur et
parfum de fibres anciennes
profondeur d’où renaissent brèves
des voix perdues temps mêlés -
tourner la robe devant derrière
dans le mitan le dos haute lisse
au creux des reins une faille
safranée énigme à voiler de
brocart
où des reflets se courbent
où la main hésite
où le trouble renaît
Sur toutes les courbes attirer les
reflets satin brocart lamé pour
cerner de lumière le corps opaque
sans savoir pour quelle
lutte quel rite
Puis
Tous les fragments assemblés
rêver - allez savoir - de bal de
regards éblouis de voix
caressante de bras qui enserrent
donnent au corps ses justes limites
sa raison sa demeure
Dernière main
Reprendre l’ouvrage
Reprendre au centre de mailles
ressassées le centre l’origine très
doux à petits points cerner la taille
point à point dérive dorée
Ceinture
tourne tourne un fil d’or
tisse et trace la voie du partage
Vers la douceur exhibée quelle
main
Qui
un regard caresse puis la main
se tend de l’autre qui vient
vers l’autre qui vient
toucher c’est connaître
et le corps caressé existera
accepté offert
nom inutile oublié
L’autre accepté
L’autre non
l’autre n’est pas
Une robe non
plutôt le corps exhibé
une robe à lire
double dansant ombre radieuse
un tourbillon d’oripeaux pour
leurrer le désir leurrer la mort
submerger les mots
dans le bruissement infini d’une
parole soyeuse
Seule parole
Une autre robe au tombé rigide
muette sous la robe de gloire un
linceul dévorant une pudeur
extrême - de quelle source
ancienne - étouffe les énigmes le
rêve s’évanouit dans une robe
livide et
le désir reste vain dans un corps
immobile
Ultime abandon déchirure
sur le vide la robe est là
figée qu’aucun souffle n’habite
Nue.
De Maryse Mahmoudian-Renard on rappelle aussi sur remue.net Amoureuses, une lecture-appropriation de poèmes de Marceline Desbordes-Valmore.
Publications :
Eclats de Patience, poèmes et proses courtes "dans les plis du mot
patience", dessins de Marieke Kern-v.Wijk.
Espaces d’instants, nouvelles. Certaines de ces nouvelles ont été
publiées dans la revue littéraire suisse-romande Ecriture.
Circ(q)ulades, poèmes sur des dessins de Marieke Kern-v.Wijk
représentant des animaux fantastiques. Un disque existe : musique
Julien Junod, lecture Chistophe Balissat.
La Regardeuse, récit
Tous ces textes sont édités et imprimés par Jean-Renaud Dagon dans son
étonnant atelier typographique, Le Cadratin à Vevey.