Olivier Apert | Infinisterre, extraits

BAILE ATHA CLIATHE    LISBOA A NOITE

était-ce fumée était-ce nuage
Rio Tejo le Tage large comme une
mer
où les cargos lisses et gris hurlent une
fois quand
revenu à bout de jambe
danse L’HOMME SEUL AVEC LUI-MÊME
s’essoufflant rauque Calçada do Duque
en humant la traîne musculaire de ces
cuisses arquées ouvertes sur le nerf
adducteur bouclé d’ombres
& là au mitan des marches larges comme un
lit
la ville repose dans la paume dans la paume
de la main la ville se couche
Pourtant Maezinha ! tu as disparu peut-être
brûlée noire sous l’incendie des caisses
de bière rua da Atalaia - L’HOMME SEUL AVEC LUI-MÊME
une nuit crut à la conception immaculée :

IL Y A(VAIT) collée à son ventre la voix    qui
hache la fumée l’oeillet de soie blanche     qui
tire la chevelure trop près du ventilateur    et
ivre-mort le guitariste moqué du Bairro-Alto

*

BAILE ATHA CLIATHE    LISBOA A NOITE
My beautiful ! My beautiful !

& le ventre énorme s’ouvre sur la mer
(DOOR 3F DECK 3 BLUE STAIRWAY)

Sur le pont, L’HOMME SEUL AVEC LUI-MÊME : il calcule
la mouette tractant le navire : derrière,
quelqu’un crache à la vague : glaireuse, son âme lui revient
en pleine face cependant que la mouette rit sous sa peine

& L’HOMME SEUL AVEC LUI - MÊME s’endort
les flancs cognés houlés par les flots non !
la musique n’est pas perdue : ça
grince autour - ivre, le peuple se grise
d’hymnes à la tristesse quand
tu t’endors
les flancs rouillés par l’écume, son
poids une masse de mercure noir
ô quand tu t’endors
et tournes le dos au double qui chante à ta place

& (tu voudrais) crier TERRE TERRE
                             pour la première fois
même surtout                   si ce n’est pas vrai
frissonnant à la disparition du large
de ce qu’il engloutit de toi

*


BAILE ATHA CLIATH    LISBOA A NOITE

Rio Tejo au-dessus
un Boeing suspend son vol (sic)
c’est alors au belvédère Santa-Luzia le silence
& le miaulement des réacteurs se givre là
précisément et confesse
qu’il voudrait finir sa carrière là
précisément ô capitao de la saudade
cartes en main son regard se plisse en vain
il sait TOUS LES ROMANS DU MONDE


BAILE ATHA CLIATH    LISBOA A NOITE

Accrochée à l’aile de l’avion - mouette
tridactyle qui inversait le temps
la nuit s’est perdue
désormais absente de la nuit

Coupée par l’aile de l’avion, son filet
d’étoiles suspendues aux fuseaux horaires
chute avec toujours plus de lenteur
dans la noire mer noire lance
les derniers cargos à l’assaut
d’une pêche déjà sondée mais
que nul d’entre eux n’amène à
la surface indifférente méchante parfois
blessée souvent où s’engluent ces cormorans
ingrats cherchant comment distinguer
les nappes petroleum des profondes rumeurs
hostiles sacrées des vagues des vagues des vagues des vagues
vagues

Olivier Apert

Ces trois poèmes d’Olivier Apert sont extraits de INFINISTERRE (le sentiment atlantique), un recueil à paraître à la rentrée aux éditions Apogée, dans la collection de poésie dirigée par François Rannou.


Olivier Apert est poète Comme au commencement), dramaturge (àlavieàlanuit, La descente d’Orphée chez Draculea), il travaille en collaboration avec le danseur Sylvain Groud (Talitha Koum), il a aussi écrit un livret d’opéra (Oreste & Œdipe) pour le compositeur roumain Cornel Taranu ; il est membre du comité de rédaction de la revue Po&sie.

Laurent Grisel
21 juillet 2005
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