Que n’ai-je

« Â N’attends pas que tout se décide en dehors de toi  », Jean-Claude Martin


[@Il note ce qui, dans le paysage, se donne àvoir et dit l’émotion, la réflexion ou le souvenir que cela déclenche instantanément en lui. Ce sont la plupart du temps des réalités familières. Des choses anodines. Mais qui bougent et que son regard affà»té saisit au vol. Il en fait son miel quotidien. Son matériau préféré est là, toujours àportée de vue, tout en n’étant visible que par intermittences. Ce sont, pêle-mêle, et entres autres, le point de l’aube, les derniers feux du jour, un tapis de feuilles mortes, les empreintes de roues d’un tracteur, l’oiseau de passage, l’avion qui laisse une traînée grise dans le ciel, etc.

Il choisit, àchaque fois, un angle d’attaque très précis. S’empare d’un détail. Qu’il va travailler en orfèvre pour parvenir, en un tour de passe-passe dont il a le secret, àle faire entrer dans une prose brève, subtile, concise.

« Â Le soleil va finir. Ce ciel qu’on crut transparent va tourner àl’ombre, àl’invisible. C’est la vie usée par les heures, les attentes. Trop d’encre maintenant, et l’on perd la face et la douceur du lavis. Seul le bord du lac est tiède encore des soleils perdus...  »

Il ouvre en permanence des brèches dans ce qui paraît simple et évident. Et du coup, ça l’est beaucoup moins. Il y ajoute son grain de sel. Qu’il polit et qu’il glisse dans les rouages. Il sait qu’il est bon que le poème se mette parfois, lui aussi, àboiter. À l’image de la mémoire, du corps et du temps présent.

« Â Tombe le soir... L’esprit capitule. Récapitule. Tu ne verras plus tes fautes jusqu’àdemain. Tout s’estompe, se dilue. Les arbres tiennent la toile de la tente. Je mets une petite laine pour me protéger des fraîcheurs de l’oubli. Même dans la chambre éclairée, la nuit m’absout.  »

Jean-Claude Martin cerne ces instants fragiles qui, d’ordinaire, nous échappent. Il les fixe en de courtes séquences – qui sont autant de promenades intérieures – où il questionne àsa manière (autrement dit sans attendre de réponse) la teneur (bienfaits ou désagréments) de l’aube, de l’eau, de la neige, des ombres, des routes, du vent, du soir, de la nuit, maintenant, dans ce livre-ci, les êtres humains un peu en retrait.@]


Jean-Claude Martin : Que n’ai-je, Tarabuste éditeur.

20 août 2016
T T+