Raharimanana | Les Cauchemars du gecko
Fragments d’un texte qui a été créé au Festival d’Avignon en juillet 2009.
Il sera repris au Théâtre des Quartiers d’Ivry du 9 au 19 février 2010.
Lire l’entretien avec Raharimanana et Thierry Bedard.
Mai 2010. L’intégralité de ce texte a paru aux éditions Carnets-livres sous le titre Fragments de cauchemars et autres fulgurances du gecko.
C’est un très beau livre, entièrement fabriqué à la main par Francine Chatelain et Daniel Besace. La couverture est en tissu, il y a des photos. Il est édité à 400 exemplaires.
On le trouve dans quelques librairies, on peut aussi le commander sur le site des éditeurs, ce qui sera l’occasion de découvrir les autres carnets-livres, tous fabriqués avec autant de soin et d’amour de la littérature.
De l’extension de la cruauté.
Tout cadavre laissé au sort a succulence de carcasse. Onctuosité de l’âme versée au hasard, hachée menu à toutes tes sauces, âme des terres damnées, macérée à tes malheurs. Je te donne orgie de chair à peler, torture d’organe à malaxer, saler, poivrer à ta convenance. Amas d’impuissance et de gras coupés, amoncellement de cœurs apprivoisés, de langues soumises et de joues fendues. Tu chies et rien ne vaut ta merde. Tu ramasses la mise, les larmes et les pus odorants. Tu n’as qu’à éparpiller et les orpailleurs de toute espèce viendront s’énamourer dans tes fouillis, tranches de destin sous toi fondues, parts de leurs vies mitonnées à tes désirs. Tu laisses les cadavres au sort et tu bascules dans l’impalpable figure. Tu es l’inimaginable possible, l’extension de la cruauté, l’immonde évidence.
Circonscrire le hasard pour les vivants, les morts en offrande à l’arbitraire, les corps à ta merde, recyclés à tes rires, le sang à la boue, et la suavité de ton humeur malodorant ma peau. Tu vis.
Nature morte.
Trois pommes à l’ail, porte-musc éviscéré, la langue du porc flanche hors de l’assiette, fleurs de moi sur les crachées de la tablée, dehors, il pleuvote encore et la vitre est sale.
« Prenez des chatons, des petits chatons tout doux, et mettez-les dans une boîte », explique Jama, un chirurgien de l’hôpital Al Shifa, le principal hôpital de Gaza, pendant qu’une infirmière place deux boîtes en carton juste devant nous, couvertes d’éclaboussures de sang. « Fermez hermétiquement la boîte, et de tout votre poids, de toute votre force, sautez à pieds joints dessus jusqu’à ce que vous entendiez les os craquer, et jusqu’à ce que le dernier miaou soit étouffé. » Pendant que je fixe les boîtes, stupéfait, le docteur continue : « Maintenant, essayez d’imaginer ce qui se passerait juste après qu’une cruauté de ce genre serait connue : l’indignation justifiée du monde, les plaintes des associations de protection des animaux… » Le docteur poursuit son histoire, et je ne peux pas détacher mes yeux, pendant un moment, de ces boîtes posées à mes pieds. « Israël a enfermé des centaines de civils dans une boîte, des dizaines d’enfants, puis les a piétinés de toute la force de ses bombes. Et quelle a été la réaction du monde ? À peu près rien. Il aurait mieux valu naître animal, plutôt que Palestiniens ; nous aurions été mieux protégés. »
À ce moment, le docteur se penche vers l’une des boîtes et l’ouvre devant moi. A l’intérieur se trouvent des membres mutilés, des bras et des jambes à partir du genou, ou des fémurs entiers, amputés sur les blessés qui venaient de l’école Fakhura (l’école de l’ONU bombardée) à Jabalia, plus de 50 victimes à ce jour. Je prétends que j’ai un coup de fil urgent à passer, je prends congé de Jamal : mais en fait, je vais aux toilettes, je me plie en deux, et je vomis.
Le rire du gecko.
Crever sommeil au rang de l’oubli.
Crever somnambule.
Je ne reviens plus sur mes chemins de tombeau.
Tiens, je te laisse ainsi le rire au ras. Tiens,
je te laisse ici les miettes de mes rêves aux fades des couleurs.
Et tu ris.
Tu ris.
Tu ris.
Est-ce rire ou cri que le son du gecko ?
Cri gecko
Retrouve le chemin des tombes.
Cependant la mère de Proserpine, alarmée sur le sort de sa fille, la cherche en vain par toute la terre et sur toutes les mers. Ni l’Aurore, déployant à son lever sa radieuse chevelure, ni Vesper ne l’ont vue s’arrêter ; elle allume deux torches de pin aux flammes de l’Etna, et les porte sans relâche au milieu des froides ténèbres. Quand la clarté bienfaisante du jour a fait pâlir les étoiles, elle cherche sa fille depuis l’heure où le soleil se lève jusqu’à celle où le soleil se couche. Un jour qu’épuisée de fatigue et dévorée par une soif ardente, elle ne trouvait aucune source pour se désaltérer, le hasard découvre à ses yeux une cabane couverte de chaume ; elle frappe à son humble porte ; une vieille paraît et voit la déesse qui lui demande à boire ; elle lui présente un doux breuvage, composé d’orge et de miel, qu’elle venait de faire bouillir. Tandis que Cérès boit à longs traits, un enfant, au regard dur et insolent, s’arrête devant elle, et rit de son avidité. La déesse offensée jette le reste du breuvage sur le front de l’enfant, qui parle encore. Pénétré de cette liqueur, son visage se couvre aussitôt de mille taches, ses bras font place à deux pattes, une queue achève la métamorphose et termine son corps, qui conserve à peine, en se rapetissant, la faculté de nuire ; réduit à des formes chétives, il n’est plus qu’un lézard : la vieille en pleurs s’étonne de ce prodige, elle veut le toucher ; mais il fuit et court se cacher ; il tire son nom de la couleur de sa peau, où les gouttes du fatal breuvage sont parsemées comme autant d’étoiles.
La culture de l’assassin.
Laisse-moi goûter à la culture de mon
assassin. Réciter sang et poème et rire à
l’enfumade. Écœurement, ça m’a l’air, mon
air vicie. Or donc l’assassin m’enfume.
Elle est retrouvée…
La mer alliée à l’horizon, et l’enflure en ma
gorgée, rire au sang, ma mort en dépravelling,
cure-l’œil pour toi. Poutre et foutre. Joue !
Les fumées sont grises, soûles de ma couleur.
Noire. Tel l’âtre sombre. Tombale ou
barbaresque. Elle est retrouvée…
La mort alliée au soleil.
Mesdames, messieurs,
Or donc dans nos colonies…
Mais je ne saurais vous retenir davantage. Car trop long discours fourche la langue.
Je vous remercie.
Politique 1.
La politique du cafard est d’éviter la langue du gecko.
Enceinte.
Souvent bêtes rampantes et autres craintes pèsent. Le dos retrace la peur. L’en dehors encore. Le glacial tracé dans le creux de nous. Nos formes. Mais bientôt. Sans doute. Nos formes. Nous en sommes sûrs. Nous le savons, reptiles sous la peau, entre veines et chairs, entre os et fouillis de muscles, saillies de nos organes, nous grouillons de salamandre, nous brûlons d’être en nous, de ces êtres en nous, anil, animal, mani, naniïmal, immanial, la conscience de nos bêtes qui nous rampent au ventre, non pas sur le ventre, au ventre, le grouillement libre des lents bougers de nos chairs refoulées, omanial. Mais la peau froide. Pourquoi. Comment. Animanial. Je rends souvent ses rêves au gecko et je me calcine salamandre.
Donner nom à tout ce grouillis…
Leçon de rêve troisième.
À te nourrir langue frelatée, les mots en saveur hey boy, ta barge en berge, tu te vends lâche, camembert bébert, tu préfères que je t’appelle berbère, barbare, steak, mots en langueur que tu avales gourmet, les lettres du monde goulu, tu navigues à crue, engorgé de slogans rageurs, tu bouffes démocrate, tu bouffes actif, prends l’option, stock, volatiles à court terme, conjoncture, tu te gargarises des langues qui nous engloutissent, titanic, l’obésité du verbe dans le gras des pensées bourrées, bourrues, tu n’as plus à penser. STRIKE BABY STRIKE.
Le jour est fureur sur mes paupières closes, cette histoire est bien trop longue et confuse… Ce monde n’est aucunement maîtrisable.
Rwanda 3.
Inyenzi désigne un cafard, un insecte nuisible qui grouille, qui se produit très vite, attaque la nuit et couve vite et se cache habilement.
Écrire 4.
/Les volets tenus qui roaquent quand même, gris des aubes éphémères, là, le souffle au corps, le vent à sa guise sur l’égrène de l’horloge, de venelles en veines, scripts de pierre en aorte, figés, la voix cave ès morbidden, je suis là ce matin.
r, u, vers lettres, n, ventrailles lardées, in, qu’ai-je écrit déjà dans mes rêves de nuit ? off.
Pierre et roche.
Voici que le gecko observe une lutte de géants. Deux baobabs qui s’entrelacent. S’empoignent. Se tordent. Leurs corps nus qui se tendent et qui s’étirent vers les hauts. Prodige d’équilibre que ni le vent ni le sable, ni la bourrasque ni la tempête ne vient perturber. Les hommes – ces ignorants, passants éternels sur ce champ de bataille, disent d’eux qu’ils sont amoureux, leur inventent des histoires invraisemblables que le temps a figées dans leur posture. D’étranges bêtes contrefont souvent sur leurs dos leur lutte millénaire – la mante qui se dresse sur ses pattes, qui étreint son compagnon et le dévore, le chat sauvage qui maintient le cou du singe dans l’étau de sa mâchoire, les fourmis qui couvrent entier le corps du caméléon. L’espace aux alentours. À n’en plus finir. Les hommes toujours qui se succèdent là. Souvent s’adonnant aux joies des horreurs. Enlacement trop vite disloqué. Danse trop tôt corrompue. Les membres qui se déchirent. Les muscles qui faillent. Et la corruption qui prend le corps – ils, les hommes, ont beau escamoter leurs croulantes morbidités, tombes et stèles qui recouvrent, feux qui calcinent, récits et légendes d’immortels guerriers (rappelle-toi Chaka Zoulou, rappelle-toi Samory, rappelle-toi El Hadj Omar, rappelle-toi Radama), la vérité est qu’ils savent au fond d’eux-mêmes que leurs étreintes n’ont été qu’éphémères, qu’au bout du choc ne serait ni le beau ni le sublime mais tout simplement le sang et la pourriture. Les baobabs toujours se dressant dans les jours qui s’éteignent, le gecko sera de pierre bientôt, il se fige comme roche pour prendre le temps de voir la fin de cette histoire, baobabs fous qui n’avaient rien d’autre à faire que de pousser au même endroit, la pourriture mon ami prendra plus de temps…
Amie des hommes.
Rire.
crise crash sur twins.
pleurs crasses et fumée, l’occident.
blanche et grise prennent hauteur, j’effondre
les tours, sirènes, les hommes couvrent l’effondrement et moi
moi
moi
moi je ris.
Une femme, le béton saupoudré dans la gorge, erre sur le bitume et réclame sa fille, réclame à boire, réclame à démence.
et tandis qu’elle boit à longs traits, je viens à la regarder et ris de son avidité, sa gorge qui palpite et son regard perdu sur des hauteurs qui n’existent plus…
Twins.
J’ai posé mes rires sur le 11 septembre. Crise et crash, les cris et pleurs de l’Occident. La fumée grise et blanche prenait les hauteurs et couvrait tout Manhattan. Les cris sont là. Les sirènes. Les sentiments d’impuissance. Tours. Rage. Les flammes consumaient dans la même dévoration que les troubles qui m’agitaient. Je vomissais. Tours. Tours d’orgueil. Je vomissais. Et ces siècles à dominer – poser dôme et domaine sur toute terre rendue inhabitée car massacrée, exterminée. Et ces siècles de déni dans les Lumières et Progrès – force et puissance, la justification des actes barbares dans un monde dit nouveau, monde de mieux, monde de confort, monde de liberté. Guerres pourtant. Guerres. Au nom de la modernité. Au nom de la vérité. Au nom de la richesse. Seules vérités : croissance, libéralisme, prospérité, compétitivité, l’immense orgueil s’égouttant de tous ces mots que je vomissais finance, rendus de dettes et de liquidités, liquidation. Je vomissais et posais mes rires. Et grise et blanche, la fumée prenait les hauteurs. J’abats mes cartes. Je suis du Sud. Cris de la foule panique qui couvrent l’effondrement. Et mon rire incontrôlable pour les murs qui séparent. Le fric fou et sa puissance incommensurable, hommes et femmes d’Occident complices de par leurs propres existences, vivant du système, bon gré, mal gré, simples outils du capitalisme. J’abats mes cartes. Je suis du Sud, pauvre et misérable parce que riche Occident. C’est aussi simple que ça. Riche Occident. Je ris. Devant honte ou colère. Devant refus ou déni. On m’explique. Ce n’est pas. C’est parce que. Le Sud. En développement. Le Sud. On m’étale ça les arguments ça etc., en long de ma gueule sale d’ignare et d’ignorant retardé, en large, en biais, en direct, en face, en a et z, trois et neuf qui s’alignent statistiques zéro zéro et ha !
Ma paranoïa ma corruption mon incompétence et l’agacement que je provoque, mon rire mes dents blanches sur lèvres rouges et peau noire, mon retard de civilisation ma famine la mort la famine ma mort sur le pétrole qui coule dans les veines de la Volvo ou de la Mercedes, le biocarburant maintenant, mon ventre qui crève la dalle, le pillage de mes richesses, nos enfants fous soldats la rate foirée et la kalach roque qui bande et crache.
Je riais, homme fou qui pleurait à ventre ouvert, regrettant qu’un Ben Laden décapite ainsi dans le vif de ma lutte et annonce ma mort prochaine –- le monstre ébranlé se retourne crise guerre tempête et autres déchaînements économiques. Le 11 septembre a légitimé tous les autres Twins, toute autre spéculation de n’importe quel autre trader. Folie a saisi les États. Je riais.
Le 11 septembre. Pleurais.
Une fugue.
Gecko gecko, là gecko là où l’on coagule les glauques des rêves, smog noir des temps noirs où choir est conte claudiquant, l’écho gai de tes cris grêles. Hé ! Ké ! Juste pour frayer phobie aux touristes qui nous visitent en ce notre monde tiers, margouillat et tarentoulia, arachnéa, nous en cas perdus de simples bêtes, hors monde, out of humanité, in scoumounas, amen…
Je dis : Qu’Occident m’occide et que je me sauvasse une bonne fois pour foutre…
PIB par habitant : un deux trois soleils par jour.
L’amande est en bouche, fondant de la pâte, léchouille des doigts, je zappe tout autre bronzeur, les tablettes en ruine et les corps cassés. Fouet levure du blanc à monter, œuf bien sûr, blanc d’œuf meringué, saveur légère, les muscles qui saillent, douceur vanillée, là-bas sur l’île, l’île flottante, Haïti ou autre Cap verdure riante, dérive gourmande et les lèvres qu’on lèche, trois quatre euros, deux trois dollars, mille feuilles des oublis, religieuse des terres libres et vacantes, l’amande en bouche et la bouche en éclat, je zappe, je zappe.
Étant donné l’état actuel de l’agriculture dans le monde, on sait qu’elle pourrait nourrir 12 milliards d’individus sans difficulté. Pour le dire autrement : tout enfant qui meurt actuellement de faim est, en réalité, assassiné. Jean Ziegler.
Il me semble que la misère serait moins triste au soleil… Charles Aznavour.
Rwanda 4.
d’elle de cette femme envie, d’elle de cette chair, femme, main sur, lèvres et, envie en mort, mordre d’elle ses feuilles, femme, rwandaise, je. terre poussière. la mort est partout. je n’ose même pas peser sur, fouler, et les pas qui d’elle ne sont plus, elle, femme, aura été dévorée, chair par chair dévorée, le sexe et les lèvres, pour obsession et le désir sans limite à découper, les seins et tout d’elle en envie, je me décompose, l’œil rivé à ce pal enfoncé dans son sexe et ressortant par sa bouche, je ne supporte pas l’enfant qu’elle tient sur son cœur fouillé, le corps petit sur plaie d’elle ouverte, ses jambes ouvertes, son sexe et la toute-puissance
De la culpabilité.
le long ma mémoire le suant des grimascarades ou le ballet des hypocrites, on m’égrène négrolibre désormais
en mon pays terre tiers mes mercis, dettes de vie, reconnaissance éternelle
pour ne point rajouter à la douleur de l’Occident, je me dois d’être sans mémoire,
Sans mémoire pour rappeler,
Sans mémoire pour dire,
Sans mémoire pour contester,
Sans mémoire pour recréer,
Mon passé n’a pas de bouche,
Pas d’entendement,
Pas de songe.
Mes rêves ne se projettent que vers le futur,
Un futur qui ne dit rien
Un futur qui ne rappelle rien,
Un futur qui ne conteste rien,
Un avenir sans bouche pour accuser,
Sans regard pour incriminer,
Piédestal statutaire pour mon bourreaucrateman,
Mon sauveur libéralistique me propulsant dans le monde monde, ma terre tiers en rieux capital développeur, terre émergente, terre de feu l’an 2000.
Nègre toujours sera nègre.
Nègre n’accuse pas. Non. Nègre n’accuse rien.
Voyez mon visage, mien visage mien,
— trop noir encore, trop noir toujours, hirsute sur vide en mémoire farcie de cadavres.
Nègre à me plaindre, je me repens. À trop pleurs pluie d’insultes, je me repens. Sur douleur, la honte est à foison, j’ai honte, je me repens. Siècle de non-repentance et de non-retour au passé, mon retour, je me le baise à mort et je souris. Comme les putes, je suis responsable de mon malheur, femmes violées, je ris, n’en tenez pas compte, c’est juste pour l’exhiber mon sourire banania et la dent que j’ai contre personne, les races n’existent pas, nous sommes tous les mêmes êtres humains, mêmes droits, mêmes prérogatives, mêmes victimes, mêmes bourreaux…
Je suis comme vous.
Voyez mon visage, mien visage mien,
— trop noir encore, trop noir toujours, hirsute sur vide en mémoire forcie de nos cadavrés.
..isme.
En pays cartésien l’on me dit, l’on me dit, la colonisation, oui la colonisation a arrêté l’esclavage, soyons logique, raison sur propos, cohérence sur discours, soyons logique, l’indépendance a arrêté la colonisation, soyons logique, loi sans discorde, irréfragable et de jure, soyons logique, la mondialisation a arrêté l’indépendance, soyons logique, rectitude de la pensée, droit d’un point à l’autre, l’effet de serre a arrêté la mondialisation et nous crèverons tous de nos certitudes, et nous crèverons tous de nos superbes spéculations avant de découvrir que tout ne repose que sur posture et imposture, pose et leurre, le déni permanent de la mémoire, dynastie des arnaques, règne des escrocs, le roi rit près des nations de Panurge. À la guerre. À la guerre. Aux armes citoyens. Crevez tous pour vos mots en isme et cratie.
Castrez ce nègre que je ne saurais être pour engraisser le monde…
Kratos.
De ma face boursouflée des enflures des siècles mon rire enfoiré, je vous contemple de mon fumier où la mort nègre se déroule en masse, corps cratères en tas pourris, abcès roses sur vagin en fleurs, verge lisse, inerte plantée dans la gorge trépidante encore du dernier coupé-découpé
Sur mon tas,
Que soit maintenant la modernité,
Que soit maintenant la prospérité,
Que soit maintenant la liberté, je crève humus par ma chair
Vous pouvez maintenant vous développer, émerger, pousser, grandir, consommer, voyez, vous
progressez, prospérez, resplendissez, dêmokratia, terre des dieux humains
Scandez maintenant.
Dêmos
Kratos
Dêmos
Kratos
Dêmos
Kratos
Puissance du peuple sur la mort nègre
Du fond de la cale, dêmos
Du fond de la plantation, dêmos,
Du fond de la colonie, dêmos,
Du fond de l’indépendance, à racler dans les bas-fonds des républiques, républiques des nègres, indépendance mon cher, dêmos,
Et racle la puissance
Et racle l’abondance,
Le chanvre de la modernité
Le luxe et la profusion pour enivrer les nations.
Consommez !
On m’a tout donné, l’abolition et l’indépendance,
On m’a tout donné, aides, faveurs, assistance et dons humanitaires,
Je coopère
Je collabore
Je me bilatérale
Je me forme, je m’informe, je m’instruis, je rattrape mon retard, je me civilise
Je m’infrastructure moderne, up to date
Je me fais russe
Je me fais us
Je me fais french cubain chinois
Je me fais juif israélien sud-af. ukrainien
Kalachnikov is my love, drone tueur mon rêve d’omniscience, Tsahal est mon fantasme, mon modèle
heavy machine gun dans ma bouche crache et recrache
Je me libéralise
Je me lutte corruption
Je me lutte ethnique
Je me fouille en fer l’anus de la femme, en œil de génocide, en bouton d’œillet d’où sourd l’envie poreuse et criminelle
Congo est mon nom
Rwanda est mon pays
Soudan est ma capitale
Traumaland est ma ville – Somalie
Libéria mon quartier ma maison la machette
Le tranchant est mon mur
Le manche est mon lit
Le sang l’eau de mon fleuve ne me désaltère pas
On m’a tout donné, je ne prends pas, non, ça ne me prend pas…
La menace.
Je suis la menace
Non, je ne viens pas avec les armes, on me les vend
Et vous exultez de l’équilibre de vos balances commerciales, rafales en hausse et mines antipersonnelles, la mort que je répands dans le ventre de mes frères,
Que je reste là à labourer les entrailles de ma mère – terre, à coups de bombes et de mines,
Que je reste là à me labourer ma merde
Et la tombe que je m’ouvre dans la gueule de vos made in Toulouse de canon et de mortier écrabouilleurs, mon rire désengorgé sur les chars et pick-up égorgeurs.
Non, je ne viens pas avec les armes, on me les vend
Succès commercial
Contrat juteux
Emplois préservés, chômage en baisse ma belle, bonne exportation, la bourse en hausse
Contrat juteux, juteux contrat
Jus de sang bonne gouvernance, aimez-moi qui massacre mes frères, cadence d’usine, vous produisez, je tue
aimez-moi qui crée vos emplois, je réduis vos déficits budgétaires et les têtes de mes uns et de mes autres
Non, je ne viens pas avec les armes, on me les vend
Merci à l’Occident qui ruse avec ses principes
Merci à l’Occident qui a inventé les droits de l’homme et me surarme
— il me nomme déjà barbare l’Occident, le pendant nécessaire pour glorifier son ombre
je suis le bas-fond de la honte occidentale
le point le plus bas où le soleil se couche – Occident, du latin occidere, tomber
la communauté est internationale, les nations sont unies et nègre toujours sera nègre,
corps noirs des siècles noirs des soleils noirs, l’infâme est mon affaire, le viol mon vol mon envol, havres sont mes cadavres
on peut crever en masse, je me porterai toujours mieux dans l’ordre de ce qui doit être et qui est
Ainsi soit-il et que la fête continue
Famine.
Inéluctablement les grenouilles prolifèrent dans toute inondation. Mes pays, latitudes crasses et bordures d’enfer, souvent connaissent de ces instants bénis. Vents et pluies. Grenouilles. Crapauds. Pélobates ou autres pélodytes. Les rizières gonflées et la puanteur reconnaissable de la mort fouillée. Fouillée soulevée battue et revenue. La peste rode et les aides sont proches pour garnir les poches. Le monde pleure et les vaches seront bien gardées. Solidarité certaine, internationale please, sur le limon de l’empathie humanitaire. La croix est rouge, la croix et la bannière. Les temps sont alimentaires. Mais je sais bien qu’il n’y a de plus savoureuse que la populaille batracienne infestant mes terres de merde. La grenouille, je la bouffe sans mes larmes de rage et de honte, je la bouffe sur mes sinistres et ma mort en digestif. Le gecko l’a bien compris, lui qui se garde bien de se mêler au triomphe de ces bêtes modernes et croassant.
Danses 1.
Danse, mes ombres voltigent à ras le sol
Vertige m’encense et me fait déroute, j’ai mis cœur à terre,
Torsade est mienne, inextricable conte où m’élancer, m’enlacer, m’ensabler, là, mille racines,
Là de mon sol, fracas retrouvé, mon être…
Car chevaucher la tempête implique des risques d’égarement…
Étrange stressée de mes rêves, se roule et déroule sur un réel impensable.
Souvent, vent violent souffle. Me souviens alors du temps lent qui refoule les amours.
Dire l’anorexie de Démeter 2.
Tant de méandres pour perdre le sens, les diseurs se gorgent de barbarie et s’emparent des mots, restent le rauquement de la voix et la saccade des désirs… Quant à moi, j’ai tout coloré dans les rêves du corbeau
Autres bâtards ont pris l’île.
Nuit m’écarte salive et me cherche amour. Je n’ai de nudité que par la perle froide que confisque l’œil. Songe et mensonge, ceci n’est qu’une histoire.
prendre fente et dans la bascule des hontes me faire femme
j’ai pris de vous les ténèbres et les jours, j’ai pris de vous les pleurs et les rires, j’ai pris les chaînes, j’ai pris les licols, j’ai pris les jougs, j’ai pris l’exil, de vous la barbarie, ma honte comme seul butin, ma douleur comme seul élixir, j’ai pris de vous un soleil trop brillant, et les rêves inaccessibles, la réalité où l’on me dépouille, la réalité où l’on me spolie, la réalité où l’on m’humilie, j’ai pris ce qui me restait de vous, les rires et encore les rires…
Mes pensées sont lianes sensuelles contre barbelés bien réels
Mon pays est en guerre
Vous ne le saviez pas, non, vous ne pouviez pas le savoir, vous n’étiez que le bâillon sur ma bouche, le bandeau contre mes yeux, vous n’étiez que la balle dans ma tempe
expulsée de l’arme, vous n’aviez rencontré que sang et ruine dans ma tête
je n’étais plus et vous, vous ne serviez plus à rien
Libre.
Maintenant, tu es libre.
La victime s’est muée en bourreau.
Maintenant tu es libre.
Le nègre a massacré le nègre.
Maintenant tu es libre.
Les murs de Gaza ont supplanté les murs des ghettos.
Maintenant tu es libre.
De toute culpabilité.
De toute mémoire indélicate.
De toute honte devant l’histoire.
De toute récrimination d’appartenir à ta civilisation.
Celle qui a porté le fer et les chaînes
Celle qui a porté l’or et l’extermination
Celle qui a porté les guerres et les damnations.
Maintenant, tu es libre.
Libre de l’esclavage.
Libre de la colonisation.
Libre de l’holocauste.
Libre des guerres que tu as dites grandes, froides, économiques.
Tu es libre.
Le nègre massacreur n’a d’égal que l’intégriste musulman.
Le juif belliqueux n’a d’égal que le bourreau qui hante ses nuits.
Le sang coule à Gaza.
Et tu es libre.
Lavé du passé.
Le sang coule au Darfour.
Et tu es libre.
Lavé de toute responsabilité.
Liberté du bourreau, rendre chair et face monstrueuses à la victime.
Liberté du bourreau, reproduire à l’infini l’état honteux.
Et tu espères
Secrètement
Sans te l’avouer
Te drapant dans tes valeurs
Que pour de bon le nègre massacre toute la négraille
Que pour de bon l’intégriste massacre toute l’islamerie
Que pour de bon le juif extermine toute palestinade.
Et tu seras enfin libre.
Libre de ta conscience.
Libre des ombres de ceux que tu as damnés pour les siècles des siècles.
Enfin tu es libre.
Tu es libre.
Tu es
Libre.
Photo Philippe Gaubert pour la compagnie Notoire ©