Raymond Penblanc | Un livre qui m’entraîne
Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas, tome 1, Éditions Hachette. Plus tard, quand je posséderai assez de livres pour m’obliger à les classer, il portera aussi le numéro 1. Parmi les rares illustrations en noir et blanc de Philippe Ledoux, l’une me retient aussitôt. On y voit D’Artagnan engageant le fer avec Bernajoux, un des gardes du cardinal, dans une rue pavée de la capitale. En légende, on peut lire : « En garde donc, Monsieur, en garde ! » Une de mes phrases préférées, à la fois mot de passe et cri de guerre. L’autre phrase : « D’Artagnan, dit Athos, d’un ton de doux reproche » sonne mystérieusement tel un alexandrin de Racine.
Ce livre, je le possède toujours. De même que je possède le tome 2 (couverture cartonnée verte), ainsi que les volumes qui suivent, Vingt ans après (2 tomes), et Le Vicomte de Bragelonne (2 tomes.) Aucun ne vaut le premier. Je les ai moins souvent relus. Alors que lui, oui. Il est d’ailleurs passé par d’autres mains. Sa couverture souple avec mon nom écrit en rouge à l’intérieur est devenue grisâtre, certaines pages sont sur le point de se déchirer. Entièrement détaché de la tranche, il laisse apparaître les fils reliant les feuillets. Mon livre cousu de fil blanc.
Je ne me souviens pas si je vois le film d’André Hunebelle, avec Georges Marchal dans le rôle de D’Artagnan, avant, ou après ma première lecture. Toujours est-il que les deux se télescopent. Il y a ce que je lis, il y a ce que je vois, et il y a bien sûr ce que j’invente. Ce qui va m’amener à récrire le livre à la lumière du film. Car le premier livre à me prendre sur son aile, ça donne ça aussi, un autre livre. Mon Livre. Mon premier livre. C’est dans un cahier bleu à spirales, écrit à la plume Sergent-Major et à l’encre (bleue ? violette ?).
Je n’ai aucun souvenir de l’écriture de ce livre. Ni de l’événement qui en scellera la fin. Quelques mois plus tard je passerai à autre chose (sans renier mes héros), et les pages de mon livre-cahier finiront sur le tas de détritus, derrière la maison. Ma cousine en prélèvera quelques-unes, dont elle se servira pour railler mes ambitions littéraires. On ne s’expose pas ainsi devant la famille. Et quand on choisit la postérité, on procède autrement. Triste. Encore une histoire qui finit mal. Heureusement elle en nourrira d’autres. (Mais ça, comme on dit, c’est une autre histoire.)