Shoshana Rappaport-Jaccottet | Amorces


De Shoshana Rappaport-Jaccottet, lire aussi In spite of ?


Carnet

  Aux deux extrémités de la France. En route vers. Dans l’entendement commun du soleil.
  Et ensuite ?
  Nouer serré le lien, la joie, les rires, les pensées.
  Nous partirons, en nomades, en funambules heureux.
  Nous cheminerons, attentifs, diserts. In any other world ? Dis-moi ?
  Ce sera comme un début. Le soleil n’est pas encore levé. La baie est cachée par un brouillard blanc venu de la mer. J’imagine les grandes collines dissimulées. Une cloche sonnera au loin. Tout est calme, comme suspendu, presque alangui. La route est sablonneuse, les fuchsias trempés. Il a plu abondamment cette nuit. Une nuit orageuse.
  Pilgrim’s progress ? (In other words ?)
  Poursuivre tranquillement me dis-je. Bande de ciels prospères. I’m trying to live alone. You could tell the difference.
  J’attendrai l’aube. J’attendrai patiemment le jour àvenir, quel que soit le jour àvenir.
  (Laisser faire ceux qui veulent sauver le monde.)
  Que le plus souvent possible chacun s’entende soudain appeler par son nom. Libre usage de l’immensité, « sur quelque plage, la plage du cÅ“ur, peut-être  ».


Commencer

  Par où commencer ? Sempiternelle inadéquation d’un début. (Prometteur s’il est.) Poursuivre sans se retourner. À quoi dit-on adieu ? Dans quels termes ? Il faudrait s’affranchir. Peut-on rêver de lointains infinis ? Il faudrait pouvoir amorcer. Le ciel s’ouvrirait. Clément. Ne pas revenir sur ses pas. S’éloigner simplement. Conserver pour soi la blessure. La frange invisible qui sépare toujours. Être distinct de. Ne rien forcer. Accentuation de la singularité, et acquisition d’une méthode. (N’ai jamais cherché.) Impressions souveraines du tropisme.
  À la racine du roman. Aucune trace nulle part. Personne ne s’y est jamais aventuré. Tâtonnant, cherchant quoi ? Le tigre du Bengale ? Cela ne porte aucun nom. Les jeux ne sont pas encore faits. Nécessité reprend ses droits.
  D’abord verser dans le rire, puis dans le recueillement. Il faut se reprendre. Se secouer. Il suffit d’un regard, d’un geste. D’un mouvement aussi imperceptible fà»t-il. Un mouvement sensible ? C’est ici que cela se passe. Ici, seulement. La forme de chaque mot, leur écart, leur dilatation. La possibilité de l’élévation ? Avancer lentement. S’envoler plus haut. Tout est porté par ces mots dont rien n’entrave l’action. Salutaire obstination que celle qui consiste àtrouver son propre domaine. Que réclamer de plus ?


L’attente

  Dans la tristesse sombre, crue de l’abîme, dans la nuit candide, dans l’absence d’étoiles, dans l’attente qui se prolonge, je suis. Je suis en tout, primesautière, ardente, déraisonnable. Je suis comme un enfant perdu, éploré, dissimulant son chagrin. Le printemps ne saurait tarder malgré le vif du froid. Un hiver lumineux encore, et puis ? Et puis quoi ? Ce ciel matinal, strié de bandes roses et bleues tellement légères. (L’accalmie certes passagère.) Pouvoir concilier le gris sans dehors, les journées laborieuses, la solitude effrontée. Qu’arrache-t-on au jour ? Que lui demande-t-on vraiment ? J’affronte les choses de la vie, le cÅ“ur inquiet. Aujourd’hui, que faire ? Je me lèverai. (Implorer seulement, timidement implorer.) Je me tournerai vers les mots qui consolent, un àun. Aucun geste. Trouver l’entame. Saisir ce qui gauchit. Redresser la tête, ouvrir les bras.
  Me voilàbien, moi !


Propositions

  Alors nous commençons ainsi. Simplement. Tenant séparés le temps et l’espace. Les deux phrases initiales sont connues, toujours les mêmes, toujours pareilles, interchangeables. C’est ce que je dis. Je m’y réfère. Je m’en souviens. Écrire une histoire d’amour. Celle-ci. Aucune autre. Pas une autre. La plénitude, maintenant. La conscience viendra. Donc, un jour. Je dis cela avec précaution. Le fait de se rappeler quand cela me bouleverse de la tête aux pieds ? Je le note objectivement. Une chose àne pas pouvoir rester dans sa peau. À ne pas pouvoir dormir la nuit.
  La mémoire se défait, s’effiloche, s’égare. Une histoire d’amour, d’à-présent, jusqu’àun certain point. Voilà. Être en phase avec. Je parle d’un sentiment, d’une relation. Enflammer la pluralité ? Entre deux tourbillons, pouvoir s’approcher. L’état du désir. Cette tension vers le dehors. Autrement. Le monde en soi. L’impatience joyeuse de posséder.
  Il faut procéder avec beaucoup d’attention. Être dans le vrai. Ne pas ruser. Il faut par conséquent un langage.


Répétitions

  C’est toujours la même chose. Invariablement. Assis àsa table, lumière éteinte, s’il ne se penchait au-dehors pour voir. Trouver l’amorce. À chaque fois. On finirait par se lasser s’il n’y avait cet effet de surprise, un je-ne-sais-quoi d’inattendu. (Apparaître, bien. Puis disparaître.)
  Suspendre l’attente. Comment c’est ? Revenir àla charge, incertain. Choisir un moment propice. Surtout, ne pas se décourager. Enfin. Enfin, quoi ? Encore ? Toujours, cette certitude àvenir. Un chantier en chantier. Redresser la tête. Faire les cent pas. Rebrousser chemin, la nuit venue. Pénombre du sujet se cherchant. Prescrire le grain temporel, sa suite, sa résistance. Comme vous le dîtes. On s’y croirait. Journée laborieuse. Ciel limpide. Se soustraire ànouveau. Prendre son envol. Et risquer la chute. Notation du jour : retenir. Accepter de tomber alors. Ainsi de suite. Que faire si ce n’est poursuivre. Pour aller où ? C’est vrai ça. Où en somme ? Tourner en rond. Telle pourrait être la fin. Ou peut-être envisager une accalmie. Poursuivre, aller de l’avant. Dans quelle direction ? Tantôt là, tantôt àl’aveuglette. Partir, commencer àpartir. Mi-hésitant, mi-souhaitant comme redoutant. Puis reprendre le mouvement, sans indice, sans repère. Vers l’errance d’antan. Soubresauts en rafale. Tressaillements le laissant dans le noir, le silence plutôt. Une nouvelle place. Ou peut-être rien, la tête sur les mains.



22 janvier 2008
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