Sylvie Durbec | Le temps, la résidente et le vide

Texte écrit après de nombreuses résidences (Finlande, Tunisie, Belgique), la dernière en Brenne, à l’initiative de la F.O.L. (Fédération des œuvres laïques) pour dire à la fois ma reconnaissance et aussi l’état curieux que procure la confiance que l’on met en vous, un état de vide délicieux et angoissant qui permet – peut-être - de s’attaquer à sa montagne intérieure.
Sylvie Durbec.

Sylvie Durbec est présente sur remue et sur poezibao
visiter sa petite librairie des champs
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Le temps ne manque pas en résidence.
Il déborde.
Non pas autour de soi comme une corde
qui enserrerait jusqu’au cou vos chevilles et l’esprit. Non.
Lorsque je suis ainsi invitée à entrer dans un autre paysage que le mien,
dans une autre maison que la mienne, j’expérimente des sommeils nouveaux, des appétits et des mouvements qui ne me sont pas habituels. Et un verbe se met à clignoter devant mes yeux comme un os pour le chien : partir.
J’en suis reconnaissante. Oui.
Car partir ouvre la porte de la maison mieux qu’une clé d’or.
Ouvre aussi la langue en soi à une nouvelle manière.
Peut-être (ridiculement ?) convaincue aussi de ne pas être tout à fait la bonne personne, le bon auteur, de ne pas être digne de la résidence proposée.
Ridicule certainement. Impossible de ne pas rire devant tant de crédulité. La mienne.
J’aspire souvent à être délivrée. Du temps. De l’espace. Du poids de mon corps.
Etre loin.
Mais loin, de quoi ? De moi, de mon ordinaire manière d’enfiler une nuit à un jour, ou plutôt de coudre avec maladresse l’une à l’un ou l’autre à l’une ?
Surtout loin de ma langue habituelle, des mots usités chaque jour.
Je ne crois pas que mon temps soit si précieux que je ne puisse lui laisser la bride sur le cou. Ici je reste souvent de longs moments inactive. Et puis je fais ce qu’on me demande.
Souriant parfois en imaginant Robert Walser en résidence de commis.
Commis à écrire. À commettre ce crime d’écrire qui nous est instamment demandé.

Mon temps est tout sauf précieux.
Mon lieu est si bien caché que j’ai du mal à le nommer.
Aussi peut-il s’habiller de noms différents.
L’ailleurs de la résidence m’emplit les poumons et me fait croire que j’ai enfin du souffle.
Entourée d’inconnus je glisse mes pas dans ceux du précédent ou de la précédente.
Sans prendre ombrage des comparaisons possibles.
Ce qui est certain, ce qui est possible pour moi ici. Incertain ou impossible à d’autres.
Tout à coup la vacuité m’entoure, et parfois m’enchante, me délivrant de la règle ou me livrant un usage nouveau de la langue dans un temps et un espace inconnus. Parfois cette vacuité me déconcerte, m’irrite ou encore me chagrine. Mais elle est mienne, je la reconnais, où que je sois, elle est fidèle, c’est celle de l’enfance et du grand âge, vacuité qui va prendre un nom, qu’on va me permettre d’habiller du mot respectable de résidente. Celle qui est permise à la déplacée que je suis.
Je réside. Non pas j’habite. Ou je vis.
Ca, c’est ce que je fais chez moi. Àmon adresse.
Ici, si loin de là. Là-bas.
Je réside à présent dans le momentané, le précaire, l’idéal. Ce qui ne durera pas. Ce qui loin de s’éterniser s’interrompra quand le temps de la résidence s’achèvera et que j’en reviendrai à mes habitudes, la langue familiale, le lit, la table, le jardin, ce qui ordinairement donne une adresse où vous envoyer les livres, des listes, des recommandations.
Il m’arrive d’envoyer des lettres à mon adresse.
Depuis l’ailleurs que j’occupe je lance des flèches vers ma maison.
Petites et bien aiguisées, mais tendres. Envoyées par la poste à mon adresse.
À destination des miens. À leur adresse.
Où, pendant le temps ouvert de la résidence on ne peut me trouver puisque je n’ai plus d’adresse. Ou plutôt qu’on ne peut m’adresser que d’immatériels messages électroniques.
Insérée dans le pays nouveau que l’on me prête, je rencontre des gens et des enfants, des oiseaux en grand nombre et aussi de très petites pierres dont je remplis mes poches, au cas où je ne serais plus en mesure de retrouver la route du moulin où je réside.
Existe-t-il des écrivains qui sont tout au long des jours des poètes à temps plein ?
Je l’ai déjà écrit, je ne suis poète que de quatre à cinq, tous les matins.
Et parfois je ne me réveille pas, alors ça saute un jour, la poésie.
Sauf qu’ici, en résidence, le vide est avec moi, prêt à s’asseoir sur le coin de la table, à me tirer par les cheveux, rappeler à l’ordre : tu dois travailler et gentiment le travail se glisse près de moi et nous nous essayons, ensemble, à ce temps étrangement libre de la résidence d’écriture.


Photo Sylvie Durbec ©

16 novembre 2012
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