TGV
Suite de trois poèmes-performances, TGV est extrait du livre Le Reste du voyage où le poète s’essaie à relever le défi du spectacle des choses et d’une nomination impuissante devant la profusion de la vie ou, à l’opposé, de la destruction.
TGV 1
l’air fume au bord des branches nues un ciel bas
fait croire aux yeux qu’ils voient enfin la matière
qu’est-ce que l’espace entre les doigts ouverts
un clocher cloue dans la vue un point d’histoire
forêt puis blé vert un reste de soleil
quelques vaches posées comme pierres blanches
un pont un verger une lampe précoce
le jour hésite à lâcher le bord du monde
il doit prendre déjà de l’autre côté
tel un vieux drap revenu de trop d’amours
un ralenti fait découvrir des gentianes
un talus au taillis piqueté de rouge
deux crétins cravatés parlent de surcoût
d’homme interface et d’avant-de-voir-faut-voir
l’horizon bleuit pour s’offrir à la nuit
un coup de poing lumineux crève un instant
la vapeur noire et joue à l’éclat divin
il y a une beauté désespérante
quelque chose au bout comme un dernier cadeau
quand la vie se retire en laissant à sec
la pincée de rien qui lui donnait du goût
TGV 2 : "Paris-Nantes"
rangs de buissons tertre et brouillard-rideaux
tirés tout le long du trajet vers Le Mans
l’actualité nous étouffe respirons
c’est une affiche dans le petit soleil
soudain tombé de haut sur un quai de gare
puis terres basses et fantômes de pommiers
dans le retour du brouillard champs d’herbes mortes
un tas de sacs blancs au milieu d’un pré vert
un troupeau de limousines un lac terreux
la tête mange les images et se tait
cela met en elle un silence léger
qui parfois se réfléchit lui-même afin
de saisir le va-et-vient de la vision
une foule d’arbres se lave les pieds
dans un champ d’eau grise couvert de buée
TGV 3 : "TGV"
la nuit vient lente et grise un virus en air
le regard cherche à sentir son invasion
une fumée trois maisons un trait de neige
comment voir la pénétration de l’image
son reflux quand les mots la jettent dehors
mais rien et rien et rien un rond de lumière
quelques formes à peine vues dans la vitesse
langue balayée par la ventée du temps
le noir a déjà imbibé tout l’espace
chaque chose ainsi réduite à sa fumée
la solitude s’étend sur la fenêtre
extraits de "TGV" in Le Reste du voyage, POL, 1999