À propos de la performance "Journal de ma peau"
photo Ann Mrozielski
La performance Journal de ma peau a été réalisée en tout petit comité.
Pendant cette performance, pour la première fois, j’ai parlé de ma démarche de façon un peu plus large.
Je suis devenue actrice pour ne pas utiliser ma propre langue car j’avais peur de mes mots ou bien j’étais sûre de ne pas pouvoir, vouloir les utiliser.
Apprendre les mots d’autres auteurs me permettait de me poser moins de questions quant à ce que j’allais dire. J’avais aussi alors d’autres préoccupations : je devais trouver pourquoi je disais ces mots d’autres auteurs et trouver le chemin de la parole du personnage que je jouais, sa nécessité de les dire.
A force de mâcher des langues il m’a semblé finalement développer un amour pour ces mots, j’ai fini par les apprivoiser.
Modèle d’art m’a mis à un autre endroit de la langue car s’il est regardé, nu, le modèle ne parle pas. Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Le modèle se dénude, prend la pose effectue de nombreux gestes rituels qui meublent sa pratique, la structurent. Le modèle pense, beaucoup, aussi par compensation de ne pas parler.
La pose de modèle vivant est une pratique qui traverse le temps, elle s’apprend sur le tas, on apprend en posant et seul(e).
Les modèles se croisent peu. Comment obtiennent-ils des repères sur leur pratique ? il y a les regardeurs, les retours des artistes mais ce n’est pas exactement pour échanger sur ce qu’ils ressentent et vivent dans leur corps, ce qui se passe dans leur pensée.
Que pense le modèle, d’ailleurs ?
Poser est une pratique (et même pour certains un métier) qui peut être fatigante, usante.
Il n’y a pas de récits de pratiques d’autres modèles. Ce qu’ils ou elles ont pu ressentir en posant. Pas de trace écrite. Il y a quelques sites web, associations qui prodiguent quelques conseils. On peut aussi en parler autour d’un café, s’appeler, échanger.
Mais peu d’écrits.
Je pose nue depuis 10 ans. Cela a eu de nombreuses incidences sur ma vie : de fille, de femme, d’amante. Sur mon corps aussi, le lien que j’entretiens avec lui. Le nu, c’est loin d’être anodin et neutre au regard de la société, du monde social.
A l’heure où j’écris d’ailleurs la vidéo de la performance que nous avions naïvement publiée en ligne sur vimeo et sans restriction a été détournée par des plateformes de porno…
Le nu est encore très tabou. Se présenter comme une femme qui pose nue, dire « je pose nue, et ce tous les jours » et même « cela ne me fait plus rien, la nudité », et que cela devienne banal même pour soi, c’est quelque chose. Tout cela, dans le regard de l’autre, a une incidence aussi.
Évidemment je pourrais me foutre du regard de l’autre mais c’est là où est toute l’ambivalence. Etre modèle vivant nu renvoie à une liberté de corps, c’est bien aussi parce que je pose nue que je ne m’en fous pas, de ce regard. J’en ai besoin. Il me fait exister. Il m’alimente. Je ne poserais pas nue, depuis dix ans, à me les geler, à m’épuiser et à tirer sur mon corps parfois, si je n’avais pas un rapport très fort, voire même une dépendance au regard de l’autre.
Produire un récit de cette pratique est aujourd’hui important pour moi. C’est une pratique engageante, exigeante, passionnante, intime, publique, immense à mon égard.
Ce récit me permet de comprendre le chemin et le pourquoi de la pose dans ma vie.
Aussi, la production et l’existence de récits spécifiques de corps, de leurs émotions, leurs décalages, histoires, permet de bâtir des repères pour le collectif, et de s’autoriser à ces émotions, histoires, décalages, récits. Nos corps ne rentrent pas dans des normes. Ils sont spécifiques, ils ont des besoins. Mon corps a sa propre histoire et ressent des choses, il a besoin de s’autoriser à les dire et s’il le fait, d’autres s’autoriseront. Pour ne pas culpabiliser ou pire, de sentir fou/ folle de les ressentir.
La performance a donc été filmée. Il y a toujours un décalage entre ma perception de moi (qui induit une certaine violence, toujours, une trop grande exigence, beaucoup de jugement) et lorsque je découvre des images filmées ou photo.
Le goût de faire, et l’impression que ce n’est pas assez bien sur le moment précède la découverte des images qui ne juge pas autant. En regardant, j’ai trouvé la performance plutôt réussie.