agora, 6 (journal)


nous qui sommes ses amies dans la discrétion





Nous vivons dans l’ignorance, dit Mary. Nos parents n’ont pas été éduqués comme il fallait, ils nous ont menti parce qu’on leur a menti.


Tu auras un mari, le temps de la maturité viendra : l’âge n’a rien à voir avec l’amour, avec les liens. L’amour, les liens, c’est pour le bon temps de la maturité. Avant ça il y a tout le travail social qui appelle, qui a besoin de toi. Un homme et le travail social ne vont pas ensemble, un homme est jaloux de ce que tu dois faire pour le travail social. La jalousie, tu n’y peux rien. Il n’y a pas de remèdes.


Quand tu as les dons c’est pour faire profiter les autres, tous les autres, quand tu parles comme moi 62 langues sans les avoir apprises, comment veux-tu te marier ? J’ai 100 ans, dit Mary, je suis jeune. Un homme de 50 ans veut m’épouser ? Il attendra.


Quand j’étais enfant un vieil homme, un marabout, m’a emmenée dans une pièce remplie de livres, du haut jusqu’en bas, de bas jusqu’en haut. Il m’a dit : c’est pour toi. C’est à toi. Prends la connaissance. Et je l’ai prise.


Le problème d’aujourd’hui, c’est qu’on est embrouillé. Il faut rester bien calme, dans le calme, ne pas mettre les noirs contre les juifs les juifs contre les noirs les juifs contre les arabes.


Chacun veut avoir raison : c’est le problème d’aujourd’hui. Chacun veut ajouter sa petite phrase pour avoir raison par-dessus les autres, c’est très embrouillé.

On ne va pas en parler.

Je ne suis pas pour la peine de mort et les balles qui tuent les jeunes sont aussi tristes que les balles qui tuent…

On ne va pas en parler. Il faut trouver le calme, ne pas être énervé avec nos phrases qui suivent les phrases, en plus ce sont de toutes petites phrases. On s’embrouille. Il ne faut pas s’embrouiller.

Toi tu seras d’accord avec ça : on ne peut pas se moquer autant, n’est ce pas, il y a des choses qui ne se font pas, se moquer autant ça ne se fait pas.

Il ne faut plus en parler, tope là, on en parle plus, je n’ai pas fait la marche parce que c’est plein de pickpockets, oh pas des voleurs mais quand tu es collé aux autres comme ça, imagine celui qui a besoin d’un bon billet, ce n’est pas un voleur mais pourquoi il ne se servirait pas ? Avec tous les bons billets que j’ai dans mon sac je n’ai pas fait la marche.


Mon amie, dit Nadia, a découvert après 36 ans de mariage et 4 enfants que son mari était homosexuel. Elle l’a trouvé au lit avec un homme. Elle a été choquée, dégoûtée, elle a pas pardonné. Tu ne connais pas l’autre, tu ne connais jamais assez bien l’autre.

Non, dit Mary, elle a pas été choquée ni dégoûtée, elle a été dépassée. L’incroyable arrive, des signes ne trompent pas.


Moi j’ai un espace qui est ouvert.


C’est difficile, dit Nadia, pour les étrangers nés en France.

L’histoire des juifs et des noirs, dit Mary, ça n’existe pas.

On est excité à chercher des complications.

Ce sont de grands problèmes qu’on ne peut pas régler.

Surtout pas avec nos petites phrases qui croient être dans le vrai.

L’ignorance nous anime.


C’est difficile pour les étrangers nés en France. Ils se révoltent, ils ne savent pas s’ils sont arabes ou français.

Oui c’est difficile dit Mary mais pour les étrangers nés en France le temps passe aussi et ça, ça fait l’expérience. Le temps passe pour eux comme pour tous. Moi qui suis parapsychologue, un jour j’ai dit à une femme de 45 ans que son grand père avait fait l’inceste avec sa mère. Elle n’avait rien su jusque-là. Elle disait : comment ai-je vécu sans savoir ? Elle disait : ma vie est bouleversée. Il n’y a plus de vie.

Ce qu’il faut c’est accepter de savoir et puis oublier. Accepter de savoir et oublier. Le temps passe pour tous. Tu sais, dans les grandes familles, ce n’est pas qu’on s’ennuie mais ces histoires d’inceste, d’insexe, c’est souvent. Tu sais ce qu’on dit en Afrique ? Le singe a tellement ri qu’à force de rire il a fait l’amour avec sa mère. C’est comme ton Oedipe. Mais lui c’était sans rire.


C’est difficile pour les étrangers nés en France. Ils sont révoltés. On leur donne un statut. Un statut ça vous monte à la tête. De faux voyants les dévorent. Ces jeunes ne savent pas s’ils sont arabes ou français. Alors qu’en parapsychologie tu remontes jusqu’à la 7ème génération. Quand tu penses que les moustiques rendent service aux grosses bêtes en mangeant leurs microbes ici ou là. Tout le monde se rend service, celui-ci nettoie celui-là. Mais nous on est tout embrouillé. Juifs contre les arabes et noirs contre les juifs, alors que ça n’existe pas.


Ils avaient envie de mourir.

Mais qui n’a pas envie de mourir, dit Nadia ?

Le passé de la mort. La mort qui est passée.

Moi je me suis jetée à l’eau parce que je ne savais pas nager, dit Nadia.
Parfois alors même qu’on veut mourir il y a des choses très belles et on les aperçoit. Non ?

Non, dit Nadia, non. La vie ne vaut pas.

Moi, dit Mary, j’ai avalé des tessons de bouteille de verre. On m’a arrêtée à temps. Un bras m’a arrêtée à temps.
Dis donc, laisse-lui le droit de dire que la vie ne vaut pas. La vie ne vaut pas, Nadia a raison. Pour la vie qui ne vaut pas tu vas aller à la parapharmacie et écoute-moi bien tu vas acheter 20 grammes d’huile de jojoba, 20 grammes d’huile d’avocat et 20 grammes d’huile d’amande. Tu vas les faire chauffer sur le feu doucement. Les huiles vont fondre.

Je vais les boire ?
Non, tu vas t’en oindre. Doucement. Tu verras, la vie qui ne vaut pas c’est un manque de jojoba. Toi tu as ton Internet : montre lui que c’est comme ça. Nadia, tu peux acheter ISOP aussi, ISOP tout le monde connaît ça dans les para-pharmacies, ça ressemble à la lavande et c’est pour la vie qui ne vaut pas. Montre-lui, toi, sur ton Internet.

Tu vois, elle va mieux.

Déjà.


Tout le monde a envie de mourir. C’est la pulsion qui veut ça. Comment tu ne voudrais pas mourir ? Tu connais ces jeunes qui font les jeux de foulard ? Le corps c’est nous mais la vie ce n’est pas nous. C’est autre chose. À qui est la vie si le corps est à nous ?

Les jeunes qui se jettent contre les balles. On n’est pas pour la peine de mort, n’est ce pas ? Le corps c’est le corps. Je voudrais dire ça au président Hollande, le corps c’est le corps. La vie c’est autre chose.


Dis-moi, dit Mary, je voudrais profiter de ta présence pour faire un brouillon. Un brouillon de lettre. S’il le faut, je viens dans ton village basque. C’est une lettre à Hollande. Jusqu’à présent il a été dévoré par 3 femmes. La mère de ses enfants qui lui fait des magies parce que la jalousie - il n’y a pas de remèdes. L’autre, la journaliste qui veut faire un film, elle est très embrouillée. Et la petite, pas très intéressante, je ne sais pas le nom. Les femmes l’ont dévoré, cet homme. Par conséquent il n’a pas pu prendre soin du peuple français. Nous qui sommes ses amies dans la discrétion, nous allons lui écrire, lui apprendre à être disponible pour le peuple. Il faut arrêter la misère tout de suite.


Quand le service social te donne à manger, tu n’es pas satisfait. Tu n’es pas rassasié. Pourquoi ? C’est de la bonne nourriture mais tu n’es pas satisfait parce qu’on te la donne quand tu as faim. La nourriture qu’on te donne quand tu n’as pas faim, ça c’est la nourriture qui satisfait, rend heureux. On sait ça, en Afrique.


Il faut faire un brouillon pour le président Hollande, maintenant que les femmes ne le dévorent plus. C’est urgent. Je viens dans ton village basque le jour où tu n’es pas occupé avec ton mari et tes enfants. Et on écrira le brouillon.




13 janvier 2015
T T+