Caroline Sagot Duvauroux | Voici le jour

Voici le jour

1.

Quoi ( ?) se trouve sous le sabot d’un cheval qui se trouve justement sous le sabot du cheval et peut-être tout simplement sous le sabot dangereusement ferré du cheval sous la blessure de la jambe du cheval de Vesaas près de la barque tardive qui suffit bien oui mais voilà

Quoi se trouve justement sous le sabot du cheval où ça ne se trouve pas mais plus loin que ça peut-être car c’est plus loin qu’on regarde que ça et plus loin c’est aussi sous le sabot du cheval puisque ça ne s’y trouve pas qu’on ne veut pas de ça mais on voudrait bien le cheval avec ses yeux doux et profonds et plus loin sous son sabot

Et voilà qu’un jour trois becs vous regardent

Il faut faire de sa soumission un triomphe de la parole on le sent une parole triomphant de l’ordre Dire regardez-vous dans ma soumission et les échelles tomberont de leurs valeurs mais mieux serait de trouver sous le sabot du cheval le conte d’un autre pays où toutes les femmes seraient soumises et prostituées et vendues et mères de l’enfant du pays suivant qui raconterait toutes mes mères furent vendues et misérables et soumises avant qu’on ne trouve sous le sabot du cheval plus loin que ça sous le sabot de votre cheval mieux traité que toutes les mères de ce pays d’à côté et mieux traitant pour elles les achevant sous son sabot achevant leur silence sous son sabot dans sa blessure et ses yeux pensants

Et voilà qu’un œil bleu liquide pousse au visage de pierre à l’aplomb des trois becs

Le cheval va si vite qu’on ne peut rien trouver sous son sabot mais on le voit qui encercle l’horizon grâce à l’œil du visage de pierre on le voit et l’horizon sous ses sabots on le voit serait-ce l’horizon que l’on cherchait à voir alors allons-y Il est un peu tard mais c’est encore marcher porter les soumissions honteuses comme des offrandes et les asservissements honteux comme des offrandes et dans l’amitié du cheval nous ferons peau neuve élastique d’avoir vu l’horizon Car c’est bien la vitesse du cheval s’éloignant qui nous a rapproché l’horizon c’est bien la vitesse qu’on a trouvé avec l’horizon sous le sabot du cheval on ne s’en doutait pourtant pas On dit cours mon beau cheval fou plus loin que les hommes on reste avec ça et la vitesse et l’horizon Toi tu échappes tes sabots de ça pour fabriquer l’horizon On regarde dans l’œil liquide du visage de pierre que voit-il on ne se voit pas on voit des nuages qui galopent en rond dans son œil c’est incroyable cet œil bleu qui vous regarde en paissant ses nuages

Et voilà qu’on pourrait boire une vision

Il a vu les soumissions et toutes les mères vendues et les cris que préparaient leurs filles et la honte des garçons et les nouveaux marchés où garçons et filles libres s’échangeaient librement après avoir appris difficilement à se vendre il a vu les filles et les garçons fiers de se vendre sans qu’on les y oblige la vue l’a pétrifié dans son basculement vers le ciel et son œil liquide et bleu ne peut plus voir aussi près que le monde des hommes voit le lointain récolter les nuages et le cheval fou avec loin sous ses sabots Mais un secret verse l’eau de son œil dans l’eau de mon œil avec les nuages

Et voici qu’on est l’œil de l’aigle

La princesse a la bouche rouge au couchant voici qu’on est l’enfant tout en bas qui voit dans l’œil de l’aigle la bouche rouge de la dame au couchant La bouche plane beaucoup de choses planent

Et voici la nuit
Et voilà que tout vacille
Et voilà qu’une se lève pour entonner ses images dans la nuit
Et voilà qu’en moi tout vacille

L’amitié se mélange à d’autres choses cruelles et vagues On n’est pas fier on ne tremble pas non plus on a perdu le pas suivant La confiance dort sûrement quelque part perdue C’est affolant de ne pas trouver l’histoire de n’être plus qu’une force affolée sans trajet Une force d’arrachement égarée entre les constellations dans un saisissement sans chant c’est si souvent esclave de la chose entière sans direction passionné d’effroi on ne s’endort pas on se fige dans la nuit On ouvre les yeux formidablement on brasse la nuit sur l’eau de l’œil On est un cheval nocturne et pensif dans la profondeur de la nuit On est la pensée hantée de sa bêtise dans l’oeil hébété du cheval On a perdu pour toujours l’horizon et le galop Celle qui se lève loin d’ici l’a peut-être attrapé On ne s’endort plus jamais On se partage et on craint On ne hurle pas parce que la nuit emplit la bouche ou qu’on tente encore de ne pas crier dans la langue du cri On sait très bien que ça vient Tout plane depuis si longtemps On ne veut pas écrire dans la langue d’un enfant on veut marteler sonner cuivrer le chahut tendre l’arc à la parole et s’occuper de vérité mais seule la langue d’enfance apprivoise encore le vacillement On a blessé quelqu’un qui vous regarde blessé on ment comme un enfant on dit j’ai touché la forêt profonde on est resté dans la clairière près de la maison du potier On habite le frisson on est en prison du frisson sans même les barreaux à scier si loin de la parole claire Dieu qu’on a peur À toute allure quelque chose dans la tête cherche partout dans une porte On voit de la lumière mais elle bondit trop vite Dieu qu’on a peur dans l’ombre qui grandit sur l’herbe affolée Si au moins la lâcheté n’était pas un péché S’il s’avérait qu’un son très pur s’élève de cette fange et dire
Mon bien-aimé voilà que mon bien-aimé

               mais je ne me souviens plus

Et voici que la nuit s’achève
Et voilà qu’une s’endort
Et voilà qu’en moi tout vacille

2.

L’écriture peut-elle dans l’absence du conte transformer puis résoudre ? Transfigurée après que rejetée de trois fois neuf pays peut-elle convertir ses métamorphoses et raconter encore ?
Nu seul et raconter
Coincé entre les pierres du torrent asséché raconter parmi les têtes qui roulent et cognent aux parois raconter Se taire et raconter peut-on ? On sent que oui Participer du moins au ramdam des cailloux d’avalanche et du vent on sent qu’on peut
Ce n’est plus la foudre et c’est aussi soudain c’est la pluie On déchire ses habits On est un jeune garçon nu sous la pluie avec une cravate et une petite tête C’est impressionnant On ne regarde surtout pas les autres qui vous regardent Le cœur emplit toute sa cage même un peu plus On n’est pas loin des ornières On est tout de même un homme sur l’à pic de l’ornière

On a enfoui dans une abstraction un papier déchiré avec un grand désir grondant un vrombissement On ne peut pas faire plus pour le moment un papier déchiré avec quelques mots dans le genre nu seul muet ornière Dans le vrombissement du torrent

Et voici qu’un hiatus fend le monde Muet

Alors furieux on souhaite que l’écriture s’endurcisse et cogne comme les têtes coupées dans le lit froissé du torrent A-t-on laissé fuir le chemin en le poursuivant ? On y laisse ses pieds pour la cadence Le reste part très loin rattraper le chemin avec les branches qui emmêlent le ciel qu’il faut démêler pour y confier sa poitrine et sa joie de poitrine Si on est une fille ce jour-là la poitrine importe Deux îles au large des côtes maigres si on est maigre Il faudra que celui qu’on attend rejoigne les îles pour la rémission du sortilège Ou pour le sortilège on ne sait plus Pour l’instant il est caché dans la corneille prophétique et les rameaux s’emmêlent aux drapeaux Noé ! Tristan ! On démêle ça oblige à tailler à équarrir Les adjectifs tombent Les virgules tombent On ébousine les verbes de leur jolies gangues d’adverbes Qu’est-ce que ça donne ?

Nu celui nu

             mais je ne me souviens plus pourquoi

On voudrait ne pas en rester là On voudrait revenir avant là Il faut trouver une nouvelle première chose On ne peut pas tricher hélas Va pour hélas Les mots durs les rognons de silex et puis hélas le calcaire poreux qu’est-ce que ça donne ?

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah Nu

On ne veut pas que les parties tendres disparaissent des géologies On ne veut pas marcher sur la mâchoire prognathe d’un salut militaire On préfère le travertin des sources à l’asseau de granit

Mais les oiseaux de complainte à la limite du malheur à l’extrémité de la terre Baal les a déchirés Qu’est-ce que ça donne ?

Seul

À la fin on rencontrera bien quelqu’un À la fin on prononcera bien un premier mot pour quelqu’un et ce sera la fin Bonjour ou bonsoir si c’est le soir Ou ‘jour si on est essoufflé d’avoir abattu les adjectifs Ou Morgen’ si on est étranger Ou jo napot si on a suivi l’aigle Turul jusqu’au soleil Ého soleil !
On fera partie du chant de la montagne On fera partie de quelque chose On aura converti le chant de la montagne avec salut par exemple et tout son corps maigre stoppé par la parole dans la caillasse Et le corps de l’autre qui ne serait pas un rêve d’autre mais un vrai autre stoppé par la parole sur le rocher en contre haut changeant complètement l’horizon Là véritablement chose première métamorphosant le profil rongé d’horizon Et voilà que c’est ainsi dirait-on Jo napot

Et le vol volera


Ce texte est extrait de Köszönöm, à paraître aux éditions Corti.

Caroline Sagot Duvauroux nous le présente ainsi :

Köszönöm est le premier mot que j’ai ramassé à Budapest. Il signifie « merci » en magyar et se prononce que se nomme ou bien que ce neume, alors tu imagines « merci » planqué dans l’incroyable résistance de cette langue magyare, planqué sous les épines de la graphie où d’un coup tout Kokoshka, tout l’expressionnisme t’arrivent et moi qui travaillais justement sur les métamorphoses singulières dans ma petite vie du mot et de l’image enfin tout ça : kiskapu (petite porte).

Dossier Caroline Sagot Duvauroux sur remue.net.

9 juillet 2005
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