Atelier des Alfabètes /11

Mercredi 9 février 2022. Yann Apperry

Nous avons le plaisir de retrouver Fatoumata, Nadia et Nacera. Yann a apporté des gâteaux et nous nous asseyons autour de la table. Nous débutons par les « invitation à » et les « prière de » pour nourrir les petits mots piochés au hasard à la médiathèque Parmentier. Pour poursuivre le thème de l’éphémère, Yann nous propose de travailler sur des poèmes uniquement composés de lettres ou de chiffres. Éphémère devient ainsi FMR. Tâche ardue, nous parvenons tout de même à deux poèmes. Puis, chacune et chacun écrit un texte sur ce même thème. Nacera évoque ses parents qu’elle n’a jamais connus, Rachid la voix de sa présentatrice radio préférée et M. Sakraoui, après avoir parlé des guinguettes, raconte ce qu’il vécut le 17 octobre 1961 à Paris.


FMR (éphémère)

A : ah !
B : béh, baie, bée
C : c’est, C (vitamine)
D : dé, dès, des
E : euh, eux, œufs
F : œuf
G : j’ai, jet, geai
H : hache (verbe et nom), hash
I :
J : j’y, gît
K : cas, qu’à, caca
L : elle, aile (verbe et nom)
M : aime
N : haine, aine
O : eau, os, au, haut, oh, aux, ô
P : pet, paix, paie
Q : cul, qu’eût
R : erre, air, aire, ère, hère
S : esse
T : thé, taie, t’es, tais, tes, t’ai, té
U : eu, hue
V : vais
W :
X :
Y :
Z : « il est né » (en arabe)


OQP A MRG occupée à émerger
OQP A L occupée à elle
100 L L J sans elle, elle gît
L R elle erre
FMR éphémère
100 L 1 G J sans ailes un geai gît
100 P sans paix
KC cassé
DCD décédé


Quand j’allais à la maison de quartier, j’ai rencontré une psychologue et j’ai raconté ce qu’il y avait dans mon cœur. J’étais contente. J’attendais la nuit que vienne le matin pour continuer mon histoire les jours de rendez-vous. Pour lui parler de comment j’allais vivre, recevoir des papiers, et sur ma santé. Elle s’appelait Sonia. Sa copine avait ramené des filets de pêche qu’elle avait mis au mur. Je choisissais des tissus de toutes les couleurs que j’attachais sur le filet. Chaque tissu était une histoire. Il y avait la couleur où je lisais la violence, la couleur qui me faisait me demander si je voulais ou non continuer à vivre, les couleurs que je détestais... On faisait aussi des carrés de tissu perlés de 15X15 sur lesquels on dessinait. Des fleurs, des cœurs, des croix... Ou bien qu’on laissait vides. Moi je faisais des points d’interrogation et des croix. Mais aussi des hameçons. J’ai également dessiné : j’ai imaginé ma maman, que je n’ai jamais connue, j’ai dessiné son enterrement. Je n’ai jamais oublié mes parents. Je les ai toujours cherchés, j’ai toujours réfléchi à eux. J’espère les trouver. Ils sont toujours dans mon cœur.

Nacera


La nuit

Quand j’écoute ma radio : j’écoute surtout une dame algérienne sur Beur FM.

J’aime pas surtout les week-ends, parce que la dame de la radio ne travaille pas les week-ends.

Rachid Zouad


Chacun prend son chemin. « Bonjour. Bonsoir. Salut. À la prochaine. » Et on se sépare. Ce sont des poèmes un peu hachés. C’est comme si tu écoutais une musique sur un trente-trois ou un quarante-cinq tours. Un disque qui passe, de la Samba, un air de Java. Tout le monde se met à bouger, danser, draguer. Après, c’est la fin d’un disque. Ça crée une ambiance qu’il faut écrire, dont il faut garder une trace.

Les guinguettes au bord de l’eau, il n’y a rien et puis d’un coup tout le monde vient, se rassemble. Chacun cherche la personne pour trouver son petit bonheur. Le tourbillon de la vie. Ces moments-là criaient la vie. Le temps d’un instant, mais d’un instant de bonheur. Une soirée, un bal, puis on se sépare. Passer une nuit à danser pour rentrer chez soi le lendemain. On recommence, à la prochaine. On passe une nuit et on se quitte. Au revoir et merci.

Le 14 juillet jusqu’au petit matin, on était jeunes. C’était ma première fille. Après, ça s’est cassé, il y eut la guerre d’Algérie, la France a changé. Certains quartiers, on pouvait plus les fréquenter. La police venait nous ramasser, ils descendaient avec ce que l’on appelait les paniers à salade, par six ou sept avec leurs mitraillettes. Un jour, ils m’ont ramassé et m’ont trainé jusqu’au bord de la Seine. On était comme des bestiaux. Je me suis dit : « ça y est, on est bon pour la mort. » L’eau était glacée, c’était près de Saint-Michel. Ils ramassaient tous les Maghrébins, j’ai vu des gens devenir fous. Ils nous tapaient avec les crosses de leurs fusils, beaucoup sont restés à terre. C’est une embuscade dont personne ne parlait. Les coups pleuvaient, les CRS voulaient juste nous foutre à la Seine. Les passants, y en a qui ont rien vu ou qui ont fait semblant de ne rien voir.

Rachid Sakraoui

17 mars 2022
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