Avoir 15 ans àCamille-Sée : l’atelier d’écriture des Seconde 1

J’ai demandé aux élèves d’écrire sur :
– un passé qui les travaille (le leur, celui de leur famille, un événement historique, etc.),
– leur présent en Je,
– leur vie demain, telle qu’ils l’imaginent.
Ensuite, leur ai-je dit, je ferai un montage de vos écrits, chacun y figurera avec des extraits piochés ici ou là. Chaque contribution sera anonyme et quand je reviendrai, on lira l’ensemble en classe, chacun se voyant attribuer un extrait au hasard. Bien sà»r, c’est totalement libre, vous pouvez participer ou non, inventer si vous le souhaitez, et vous pourrez àtout moment refuser que cela soit lu, ou refuser que cela soit publié.
Merci àleur professeure de français, Virginie Morgant-Vallot, d’avoir permis àcet atelier d’exister.
Marianne Rubinstein.


Le passé :

1. J’adorais mon grand-père. On se voyait extrêmement peu car il ne vivait pas en France. C’était l’heure du dîner. Mon père nous a dit àmoi et àmon frère : « J’ai quelque chose àvous annoncer.  » J’ai tout deviné. j’ai ensuite prétexté que je voulais aller aux toilettes, mais en réalité je suis partie dans ma chambre. A partir de ce moment-là, j’ai ressenti comme si quelque chose s’était brisé, comme si un vase très lourd s’était brisé dans mon corps, une sensation de douleur et de vide et de lourdeur àla fois.

2. Ma grand-mère maternelle juive a vécu la seconde guerre mondiale de ses 4 à10 ans. Elle ne s’est jamais remise de grandir presque sans famille. Elle porte une étoile juive tous les jours pour faire hommage àsa famille.

3. Je me souviens des journées passées avec ma meilleure amie, toujours collées ensemble, des moments dans la piscine avec mes camarades, le maître et deux animateurs, du petit chien Charlie qui voulait toujours jouer avec nous, dehors.

4. Un jour, j’étais avec mes parents et ils ne s’entendaient pas très bien ensemble. Moi étant jeune, je ne comprenais pas ce qui se passait. Après vingt minutes de dispute, mon père sortit et ne revint que le lendemain. C’est àce moment-làque je me suis rendu compte que mes parents étaient divorcés.

5. Je n’ai malheureusement pas de suite pour ce secret familial, en effet ma famille ne souhaite pas me le dire.

6. Ce qui m’a impacté est le fait que mes parents, qui sont venus en France àl’âge de 23 ans, considèrent que c’est une chance inimaginable de pouvoir étudier en France, par rapport àeux. Donc les enfants d’immigrés subissent une pression constante sur le travail, car nous avons une « chance  » de pouvoir étudier ici.

7. Mon grand-père épousera une deuxième femme, avec qui il aura deux filles. A cette époque où la polygamie était autorisée, il se remariera encore une troisième fois et il aura cinq enfants. Les aînés seront nés aux Comores, les derniers àParis.

8. Un jour, chez mes grands-parents, j’ai décidé d’aller visiter l’extérieur sans en connaître le moindre recoin, sachant qu’ils habitaient une grande maison. J’ai pris du temps àtrouver, je ne connaissais rien de cet endroit, mais l’intrigue attire l’enfant vers la bêtise.

9. Je sais que mon père n’est pas parti pour un voyage d’affaires, mais je dois mentir àma mère depuis que mon père est parti, car ça fait maintenant un mois qu’il est parti, ça devient stressant et compliqué de mentir àma mère même si je le ferai quand même pour la protéger et ne pas l’inquiéter.

10. Je me souviens lui avoir dit « je t’ai aimé dès l’instant où nos regards se sont croisés, tu as piqué mon cÅ“ur, et je préfère te le dire maintenant que jamais te le dire et àla fin le regretter ». A cet instant précis j’eus la peur de ma vie, mais elle se colla àmoi et me donna un chaleureux baiser et me répondit par : « moi aussi je t’aime  ».

11. Moi je n’ai pas eu ça, pas le père et la mère amoureux, pas les câlins des pères protecteurs, pas grandir avec ses frères, pas les réunions de famille. Tout ce que j’ai eu, c’est des cris, des pleurs, des décès, des maladies, des cassages de verres. Mais elle était là, elle le sera toujours ma maman d’amour, je lui préserverai mes poumons pour qu’elle puisse respirer.

12. Le génocide rwandais est « différent  » des autres du 20e siècle. Le génocide rwandais est l’extermination des Tutsis qui sont rwandais par un autre groupe ethnique rwandais, les Hutus. Pour la Shoah, les Allemands ont exterminé les Juifs. Pour le génocide arménien, l’empire ottoman a décidé d’exterminer les Arméniens. Mais là, ce sont deux groupes ethniques du même pays. Je ne comprends vraiment pas pourquoi avoir fait ça.

13. Je vois, maintenant que j’ai grandi, tellement de choses que je ne voyais pas avant et qui étaient vraiment sous mon nez. J’ai l’impression qu’en un instant, toute ma vision des choses a changé. Et dans ma relation avec ce grand-père et sa femme, quelque chose a changé, ce n’est plus et ne sera jamais plus comme avant. Et je suis vraiment déçue.

14. Alors en classe de CP, je venais de fêter mes 7 ans, l’heure était àla fête àl’école, tous mes copains me souhaitaient un bon anniversaire, les profs également, je reçus même quelque cadeau. J’étais au comble du bonheur, mais malheureusement la journée commençait un peu trop bien. Il fallait qu’encore une fois un énergumène vienne gâcher mon moment de suprématie sur les élèves encore âgés de 6 ans. Noé, alors âgé de 9 ans, me fixa droit dans les yeux, et me gueula au visage, avec le plus grand mépris : « T’as 7 ans, l’âge de ma petite sÅ“ur, t’es qu’un petit.  »

15. Mon père est d’origine algérienne, il est né dans la ville d’Oran et y a vécu jusqu’àses huit ans. Mes grands-parents paternels y ont toujours vécu. Aux alentours de 1970, ils sont arrivés en France, dans le 14e arrondissement de Paris. A cette époque-là, la religion juive était encore mal vue, et ils ont beaucoup souffert de l’antisémitisme. Mon père a pu, en partie grâce àmes grands-parents, faire de longues études de médecine, et il est aujourd’hui pharmacien. A la maison, de nombreux objets témoignent de mon histoire familiale : ils ont traversé le temps, et leur époque, chargés de souvenirs.

16. Grandir sans père, je ne peux vous dire si c’est plus dur ou plus facile, plus drôle ou moins drôle, cela est inexplicable. Ce que je peux vous dire, c’est que grandir sans, c’est complètement différent. C’est un seul parent qui joue les deux rôles, qui doit m’éduquer seule. Elle a toutes les responsabilités des deux rôles de parents. Grandir sans père, petit, cela ne me gênait pas davantage. Mais maintenant que je grandis, je sens peut-être ce manque d’un amour paternel. Mais vivre sans père m’a aussi permis de trouver certaines personnes que je considère comme des pères. Je connais, dans ma vie, des personnes qui m’ont donné cet amour et cette attache paternelle dont j’avais besoin.

17. Mon père, àl’armée, va être envoyé àBerlin durant la guerre froide entre Berlin Est et Ouest. Il cassera le mur avec sa pioche, avec d’autres. Il était fier quand il nous le racontait.

18. Quand je me suis retrouvée pour sortir de l’eau, une vague est passée au-dessus de ma tête pendant très peu de temps, mais cette histoire me travaille car je ne savais pas nager, donc j’étais très paniquée, mais la vague est repartie et la journée a continué.

19. C’était un vendredi après-midi, un jour de vacances, je rentre chez moi et ma mère m’annonce que mon père est mort.

20. Mon arrière-grand-mère avait àl’époque un homme, ils étaient censés se marier, mais après un séjour en Afrique, cet homme qui était censé être mon arrière-grand-père, a été dévoré par un requin. Mon arrière-grand-mère a donc été forcée de se marier avec le frère de cet homme, l’homme qu’elle aimait. Avec le temps, elle a fini par tomber amoureuse du frère de son homme, et lui aussi avec le temps, mais ça n’a pas été facile.

21. Quand j’étais petit, j’ai fait un cauchemar dans lequel ma grand-mère était tombée dans les escaliers, et le lendemain, elle est vraiment tombée dans les escaliers. Depuis chaque cauchemar, j’ai peur que cela arrive vraiment.

22. J’étais au restaurant avec mon père et ma mère. J’ai un grand frère et un petit. Mes frères n’étaient pas là. On commence àdiscuter sur les enfants non désirés. En rigolant j’ai dit « c’est comme si un de nous était non désiré  ». En parlant de mon petit frère, ma mère a dit àmon père : « il est peut-être temps de dire la vérité  ». Mon père s’est brusqué et a dit àma mère d’arrêter d’insister. Comme je voyais que mon père n’était pas bien, j’ai dit : « C’est bon, maman, arrête  ». Il y a des fois, je repense àcette scène et je me dis : heureusement qu’il est làparce que je m’ennuie vraiment sans lui. On a six ans d’écart, il a huit ans.

23. Mon arrière-grand-père, àsa pause, buvait un café avec ses collègues et un jour, un blanc du bureau oublia son jeu, le domino, alors un des collègues de mon arrière-grand-père vola le jeu. C’est àpartir de ce moment-làqu’ils ont commencé àjouer aux dominos, et cette passion lui est venue. Il me raconta que ce domino avait fait un long voyage dans le temps, un jour dans le fond du bus, la place des personnes noires, il avait le domino dans ses bras, plusieurs blancs lui répétaient que les noirs ne devaient pas jouer mais travailler. Mon arrière-grand-père s’est fait agresser des centaines de fois. Mais il parlait de son domino comme d’un trésor. Je ne m’en rendais pas compte, mais je joue avec le domino avec lequel ils ont commencé àjouer. Pour moi, c’est ce qui me rend heureux car c’est devenu un peu comme notre trésor familial comme il disait.

Mon présent :

24. Je suis extrêmement stressée et angoissée, l’école me stresse, je suis vraiment désespérée parce que je n’y arrive pas avec les commentaires composés, heureusement que je fais de la danse, c’est une réelle passion, même si c’est vraiment quelque chose qui détruit le mental et le physique. A part ça ? A part ça je suis quand même très heureuse.

25. J’aime demain. J’aime l’air frais qui me caresse le visage. Je me promène souvent. J’aime qu’on me raconte des histoires. Je marche souvent.

26. Je suis dans un labyrinthe de colère, de peine, de tristesse, d’interrogations, de trahison, d’envie, de rire, et beaucoup d’autres choses.

27. J’ai quinze ans, né àParis 19e et actuellement en banlieue. Les jeunes d’origine culturelle différente apportent beaucoup àla République et àla démocratie, et malgré cela, pour beaucoup d’entre eux, on ne sait leur répondre que par la police. Beaucoup de jeunes de différentes cultures paient plus que d’autres en faisant des conneries, alors que leurs parents paient leurs impôts, enrichissent la France.

28. J’ai les larmes aux yeux en parlant de ma mère. Je veux rendre fière ma mère jusqu’àla fin de ma vie. Aujourd’hui, je suis là, j’écris mon histoire, j’agis et vis au jour le jour, au moment présent. Dans le futur, j’espère que ma mère restera fière de moi.

29. J’aime écouter de la musique. J’aime manger. Je fais mes devoirs. J’aime l’anglais. J’ai quinze ans. J’aime pas les maths. Je ne fais pas de sport. Je ne lis pas souvent.

30. Je voulais aussi écrire une histoire parlant d’une femme qui a vu son fiancé être assassiné devant elle le jour de leur mariage, mais je me suis dit que ce n’était pas assez joyeux. Je ne sais même pas quoi écrire sur mon présent. J’ai l’impression que chaque fois que l’on me demande de parler de moi, le présent/mon avenir, j’oublie tout. Je suis quelqu’un qui aime beaucoup dormir. Je souhaiterais bien rester anonyme.

31. Je suis bipolaire peut-être. Je suis pour le féminisme. Je suis narcissique. Je suis en dépression. Je suis contre l’homophobie. Je suis heureux. Je suis content d’avoir des amis. Je t’aime, maman.

32. Je suis chez mon père, je suis chez ma mère. Je travaille je dors je joue je fais tout cela en boucle, encore et encore. J’ai des amis, j’ai des ennemis, j’ai perdu des proches. J’imagine mes parents vieillir, je m’imagine rire danser m’amuser, je m’imagine avoir une vie de rêve.

33. Je suis fatiguée d’aller en cours. Je veux danser. Je veux faire la fête. Je veux être fière de moi. Je veux assumer ma personnalité complètement. Je n’aime pas les cornichons très fins, ils sont trop acides.

34. Je souhaite voyager. J’aime le chocolat.

35. J’en ai marre de l’école. J’ai mal au dos. J’ai faim. Quand je joue au football, j’oublie tous les problèmes. J’ai une sœur. Je passe des castings. Je suis fatigué. J’aime beaucoup le foot. J’aime ma famille, mon chat aussi. J’aime bien ce genre d’exercice. Je suis acteur. Je mange beaucoup avec mes copains.

36. J’en ai marre de rentrer chez moi tard le soir, après le sport, et qu’il n’y ait pas àmanger.

37. J’en ai marre d’avoir constamment la flemme, j’en ai marre que tout me paraisse fade, j’ai hâte d’aller manger, je suis contente de ne pas être en cours.

38. Je me sens inspiré, ennuyé, fatigué, j’ai envie de dessiner et c’est tout.

39. Je vous présente mon présent comme étant dur, alors que nous nous connaissons àpeine. Mais j’apprécie l’exercice, qui consiste àécrire notre présent, tout ce qui nous passe par la tête, àune personne qui ne nous connaît pas. Voici mon présent en Je. Si je devais le décrire avec trois mots, ce serait : « compliqué  » ; « Ã©motionnel  » ; « un combat  ».

40. Je suis grand, j’aime manger, je suis fort en anglais, je dors àminuit, je lis pas de livre, je suis un bricoleur, je nage.

41. Je suis content, détendu, car j’ai fini tous mes devoirs. Je suis quand même fatigué car je me suis levé tôt et je me suis entraîné, donc je finis ce travail et je vais dormir.

Mon futur :

42. Je voudrais être indépendante financièrement, je voudrais une villa àDubaï, un chien, un cheval, un grand appartement àParis en hauteur.

43. Dans dix ans, j’aimerais bien être àNew York avec ma femme et mes trois enfants, Lydia, Abdel et Samir. Etre aisé financièrement, me lever à8h pour aller àmon travail que j’aime en emmenant mes enfants àl’école leur parlant de mon enfance. Ma femme qui fera les boutiques pendant que je travaille.

44. Un monde sans violence, un monde avec des forêts, des animaux, un monde où l’humanité sera réduite de moitié, prendra soin de la terre, un monde dans la paix et libre, sans pollution, avec des voitures volantes uniquement, un monde où les ressources humaines et naturelles satisferont l’humanité, un monde technologique sans crainte ni menace, un monde où les richesses seront équitables, pas de pauvre ni de riche, plus aucune personne sans abri. Etre libre de faire ce que l’on veut. Demain sera un monde calme.

45. On vivra dans une porcherie, voilàce que sera le futur pour moi.

46. Demain, si nous ne faisons rien par rapport au réchauffement climatique, la planète sera totalement déréglée. Si nous ne limitons pas nos utilisations de gaz àeffet de serre, nous n’aurons peut-être plus de descendance. Si nous ne faisons pas d’efforts afin de changer notre manière de vivre, le monde de demain n’aura aucun sens.

47. Je m’imagine quand je serai vieux dans une maison de campagne, loin des villes, reposé en pensant que j’aurai vécu une très belle vie, avoir rendu mes enfants et mon entourage heureux, avoir une vie complète et pouvoir mourir en paix.

48. D’ici dix ans, je me vois animateur 2D dans un studio d’animation, je ne sais pas où. J’aurai fini mes études et j’essaierai de partir dans un autre pays comme au Japon ou aux Etats-Unis pour essayer de refaire des études d’art mais d’un point de vue différent, ou pour apprendre une autre façon de faire les choses.

49. Je m’imagine demain, voyager un maximum, découvrir encore plus d’horizons et de cultures. J’imagine aussi demain devoir faire face au dérèglement climatique.

50. J’imagine le monde de demain surpeuplé, il y aura de gigantesques gratte-ciel, les grandes villes seront étendues sur des centaines de kilomètres, les sous-sols seront habités, les robots remplaceront 70% des emplois du secteur industriel, il n’y aura que des caisses automatiques, Internet sera utilisé pour les actions quotidiennes telles que les courses... La pollution aura diminué de 50% due aux énergies renouvelables, et les voitures électriques, sauf que la pollution sonore aura surement augmenté.

51. Je m’imagine en étant heureux. Dans vingt ans j’aurai énormément voyagé j’espère avoir vécu plein d’expériences, avoir fondé une famille, avoir mon appartement, avoir un bon cadre familial.

52. J’ai du mal àme projeter dans le futur. En fait, dès que j’essaie de me voir dans le futur, j’ai un blanc. J’ai l’impression que ma vie n’aura plus d’intérêt après mes vingt ans. Je ne veux pas d’une vie rangée, sans surprise, où tout se répète en boucle.

53. Peut-être avoir un entourage solide avec des liens tissés serait un bon départ. Un futur rempli d’ambition et d’espoir, mais qui reste encore àla phase du brouillon.

54. Tout ce que je sais, c’est que si j’arrive àdemain, j’en serai fière, parce que je n’ai pas abandonné.

55. Je m’imagine àParis, ayant un travail dans le domaine informatique ou ingénierie, surement pas en couple et pas de famille parce qu’actuellement, ça ne m’intéresse pas et je jouerai encore aux jeux vidéos.


P.-S. de Marianne Rubinstein : L’atelier d’écriture s’est clos sur la lecture de ces extraits, chacun des élèves en lisant un, àtour de rôle, dans l’ordre de leur positionnement dans la salle (il avait été dit d’emblée que l’anonymat serait préservé le jour de la restitution). On a lu deux fois l’ensemble, certains demandant avant la seconde lecture àsortir de l’anonymat pour lire leur propre extrait comme ils l’entendaient eux-mêmes. Puis on a discuté de ce que cela leur faisait et de certaines contributions en détail, comme celle du domino ou celle sur le Rwanda. Quelque chose se passait, ils étaient émus, ils regardaient leur classe autrement, ils étaient étonnés de la qualité littéraire de ce qu’ils avaient écrit. J’étais émue moi aussi.

21 mars 2022
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