On est fiers
Joie de revenir au lycée Charles-de-Gaulle au printemps : soleil dans la rue Ligner (faubourg de carte postale où les voisins papotent sur le pas de la porte, tant pis pour le cliché). Je me suis sapé pour l’occasion : j’ai mis ma veste bleue, je sais pourtant que je ne la garderai pas, j’ai déjà trop chaud. « L’occasion » : je parle de la sauterie organisée par les Terminale. Ma résidence est terminée depuis longtemps, mais le projet s’étire, il n’en finit pas d’exister : entre ma première visite (rencontre avec les profs à l’hiver 2019–2020) et cet aboutissement, quasi deux ans et demi sont écoulés. Moi qui souhaitais m’inscrire dans le temps long, je suis servi. Mieux : gâté — car je décide que ce moment est un cadeau. D’ailleurs, les livres sont enrubannés comme s’ils sortaient des ateliers du Père Noël. Je sais qu’ils proviennent en réalité de chez l’imprimeur du quartier de l’Horloge : c’est moi qui l’ai mis en pages et envoyé en fabrication, je suis au courant.
Je découvre donc physiquement ce livre conçu sur mon écran : recueil des textes écrits pendant les ateliers de l’année scolaire précédente. Après la fin de ma résidence, les profs ont eu l’idée de prolonger cette expérience créative par une mise en situation professionnelle (car nous sommes dans un lycée pro, je ne l’oublie pas) : fabrication et diffusion du livre, suivi budgétaire, organisation des réjouissances d’aujourd’hui.
Les profs, c’est Stéphanie et Frédéric. Stéphanie s’éclipse un instant, puis revient toute métamorphosée : en robe. Applaudissements, hourras, ovations dans le CDI : « Madame, en vrai vous êtes trop belle ! » Les élèves aussi ont fait un effort, les filles surtout, et plusieurs garçons ont troqué le jogging contre un jean : pour eux ça veut dire beaucoup. Personne ne fait de commentaire sur la tenue de Frédéric, mais deux garçons nous disent, à lui et moi : « Mettez-vous à côté, comme ça, oui, regardez, vous vous ressemblez, on dirait le grand frère et le petit frère. » Je ne suis pas convaincu, mais ça leur fait plaisir de le dire. L’un des plaisirs de ces retrouvailles, justement : la découverte des visages entiers — non plus aperçus furtivement quand le masque glissait, mais montré sans tabou, parce que cet accessoire n’est plus imposé. Enfin. De beaux visages rayonnants. Les élèves fiers de leur travail. Un peu inquiets aussi, quand il faut s’exprimer en public. Je connais ce trac, évidemment, et c’est beau d’observer ça chez eux aussi. Prises de parole brèves, timides mais préparées, alors ça passe bien. Les profs remercient, félicitent, et n’oublient pas de rappeler que « ça n’a pas toujours été facile » (je peux ajouter que c’était même la galère, quelquefois : ils sont mignons nos petits élèves, mais quand ils ne veulent pas ils ne veulent pas). À mon tour, je dis : « J’étais sûr que ce lycée était le meilleur endroit pour un tel projet de résidence, parce que vous n’êtes pas nombreux, alors j’ai pu connaître presque tout le monde. » Une invitée me donne raison, plus tard : « C’est quasi familial. » Elle est élue à la mairie du 20e et prof dans un collège du quartier, elle a reconnu une de ses anciennes élèves dans « ma » classe. Retrouvailles, donc. Puis : le buffet est ouvert. Je reconnais trois retardataires venues d’un autre établissement : chic, elles sont là ! Elles étaient en UPE2A l’année dernière (mon groupe chouchou, je l’ai déjà dit) et elles ont écrit parmi les pages les plus touchantes du recueil.
Le titre a été choisi par les élèves. Le principe de couverture aussi. Et l’organisation des textes. J’ai tenté de faire la synthèse des idées, au mieux. Toutes les personnes qui ont animé ou fréquenté un atelier d’écriture savent que le plus important est invisible depuis l’extérieur, c’est-à-dire : les moments partagés pendant la séance, les rencontres humaines, les ratages et les incompréhensions, les maladresses de ma part et les réticences qu’on m’oppose, les instants de grâce quand ils arrivent. L’important, ce n’est donc pas le rendu final : c’est le processus. Il faut toutefois qu’un objet concret témoigne de tout ça. Une pierre pour marquer le jour. Un jalon. Une brique. Un livre, quoi. Pour le retrouver plus tard et être fier de soi.