Benoît Artige | Figures libres, Françoise Gilot
Il y a les chevaux furieux dont le galop est guidé par l’angoisse et ceux dont la joie dompte le pas. Elle ne veut avoir affaire qu’avec la joie et se méfie plus que quiconque des courses à l’abîme – même si elle connaît les fulgurances insensées que la vitesse procure. Elle s’est toujours méfiée de cette ivresse qui peut jeter à terre et dont on ne se relève pas. Elle se méfie de l’homme qui veut l’entraîner dans cette ivresse et dont elle sait qu’il ne la relèverait pas. Aujourd’hui, elle le quitte et le lui signifie. Aujourd’hui, sa joie est un cheval à la robe brune, son panache un chapeau andalou. Elle pénètre dans l’arène aux proportions assez vastes pour y respirer large ; elle tient les bribes fermement. Aujourd’hui, elle chevauche la joie et rien ne peut lui arriver – quand bien même le taureau se ruerait sur elle pour la désarçonner, elle n’en aurait aucune crainte. Elle ne se précipite pas, joue le jeu de la parade, goûte le rythme retrouvé d’un pas que l’on peut guider à sa guise. L’homme est assis au milieu de la foule ; il ne la reconnaît pas tout de suite, mais quand il la découvre sous le chapeau andalou : panique. Il invoquerait presque l’apparition du taureau, mais le taureau a été mis à mort hier et c’est le cheval à la robe brune qui s’avance. Voilà la cavalière qui se penche, tête nue, le chapeau à la main : c’est un salut à lui seul destiné qui vaut pour un adieu ; un rendu pour un repris ; la fin d’un amour au profit de la liberté.