Benoît Artige | Figures libres, Stendhal

Il faut admettre que bien souvent la réalité fait la nique àla fiction et montre de trop de zèle àmultiplier les coïncidences : ainsi de cette carte postale expédiée du Pérou àParis par un certain Jeff àun certain Charles - résidant au n°20 de la très courte (93 mètres, selon Wikipédia) et, il faut bien l’avouer, très décevante rue Lucien Leuwen, elle-même excroissance somme toute naturelle de la rue Stendhal -, missive dont le destinataire semble s’être servi très provisoirement comme marque-page avant de l’abandonner entre les pages 34 et 35 d’un exemplaire du Rouge et le Noir, revendu, lecture inachevée, pour trois fois rien chez Boulinier, 7 boulevard de Bonne-Nouvelle, me permettant de le racheter au même endroit pour àpeine plus de trois fois rien et où l’on peut lire au verso d’une photographie de céramique polychrome Nazca le texte suivant : "Ça n’est pas vraiment l’Italie, mais ça vaut le voyage. Suis logé chez autochtones avec bananier dans le jardin, à20 mètres du Pacifique. Confort plus que rudimentaire. Menaces de guerre àla frontière équatorienne. Mon opinel va pouvoir servir ! Quel exotisme. Comment ça va dans le 20ème ? Le vin est dégueulasse. Mais les filles sont bien roulées" – suffisamment de quoi rêver àce qu’aurait pu donner, sous perfusion échenozienne, la production épistolaire du Consul de France Henri Beyle, transporté cent cinquante ans plus tard de Civitavecchia àLima.

4 janvier 2022
T T+