Christophe Ségas | Douze jours
1.
ce jour-là est celui
des organisations
obsolètes
2.
ce jour-là est celui
où tu entres dans les bois
tu t’absentes de toi-même
tombes sur la mousse
à plat ventre
l’heure vient de l’humidité
puis tu tournes les yeux dans la terre
3.
ce jour-là est celui
du renard vif et véloce
qui a réchappé deux fois
d’une mort annoncée par statistiques
en revanche tu as cru voir
sur le bord de la piste
le cadavre d’une cigogne
entortillé dans un barbelé de ronces
et plus loin celui d’un homme
courbé sur un chêne à terre
en putréfaction
4.
ce jour-là est celui
du soleil à l’aspect de lune
la vieille personne mélange les époques
tire une carte au hasard
puis te raconte le passé
le présent et l’uchronique
l’heure des identités flottantes advient
qui es-tu
tous l’ignorent
5.
ce jour-là est celui
de la sainte tyrannique
ta mère
les étourneaux
qui coiffaient le mûrier
s’abattent dans les morts terrains
sur toi se penchent des corbeaux
dont les colliers d’acier
tintent comme des chaînes d’esclave
tu te préoccupes des oiseaux
car les humains
surtout
te laissent froid
6.
ce jour-là est celui
de votre première expédition
au belvédère central
de là vous surplombez la ville
la paix
les yeux mi clos par la lumière des grandes altitudes
vous êtes déjà mélancoliques
de l’émerveillement
dont vous savez bientôt devoir revenir
7.
ce jour-là est celui
des bâtiments et des volcans
qui crépitent en un tout rocheux
brun blanc dégradé rouge
des chiens errants se frottent à vos mollets
avec l’espoir de glaner un os
une caresse
une sage parole
8.
ce jour-là est celui
gris
où tu doutes de la réalité des pierres
et de la surface du fleuve
enjamberais-tu le garde-fou
jusqu’où
chuterais-tu
9.
ce jour-là est celui
des miroirs disposés
aux bords de vos parcours
des miroirs effrayants
parce qu’ils ne reflètent
que la nuit proche
10.
ce jour-là est celui
des arbres torturés
par des enfants sans limites
des rubans de bitumes
taillent le territoire
en longues franges sales
des industries chimiques
bavent leurs déjections et leurs fumées
dans le fleuve de montagne
dans les ciels imprécis
vous traversez des bois de résineux
acides et sinistres
et ne trouvez aucun charme
au mouvement
l’ennui et la fatigue
s’infiltrent dans vos corps
jusqu’à votre arrivée
dans le cercle des cris
11.
ce jour-là est celui
des brouhahas mécaniques
superposés à des affiches grand format
fresques éphémères de sexes
de corps souffrants
membres tendus vers l’au-delà
se heurtant aux murs de l’anti-transcendance
retour à une mort
salement physiologique
12.
ce jour-là est celui
des rafales
du froid
des herbes de glace
des muscles crispés
de l’œil gelé qui devrait surplomber le paysage mais qui ne réussit
qu’à luire
brûler
se liquéfier