Déesses et héroïnes
Chloé Delaume est en résidence à la librairie la Régulière (Paris 18).
Elle travaille sur les mythologies et le féminisme, et leur résonance avec les enjeux d’aujourd’hui. Ce projet d’écriture, intitulé Lilith & Cie, sera structuré en 13 monologues, correspondant chacun à une figure mythologique.
Comment est venue l’idée du projet d’explorer ces 13 figures mythologiques ? Quels chemins d’expériences et de réflexions ont permis d’y aboutir ?
La mythologie m’accompagne depuis mon enfance, les aventures d’Ulysse et celleux qui peuplent l’Olympe m’ont bercée à l’instar des contes de Perrault, Grimm et Andersen. Adolescente, j’ai pris conscience de l’importance considérable des mythes grecs dans notre culture, attendu que la psychanalyse fait de leurs personnages des complexes et syndromes. Attendu le répertoire classique, aussi. Corneille, mais surtout Racine, dont les vers sont pour moi un maître-étalon. J’ai également constaté que ces dieux et déesses, héros et héroïnes, étaient depuis l’Antiquité sans cesse l’objet de réécriture, qu’à travers les époques, dramaturges et écrivains s’en emparaient pour parler de sujets qui leur étaient actuels. Giraudoux avec La guerre de Troie n’aura pas lieu évoque les tensions entre la France et l’Allemagne en 1935, prophétisant le retour d’un conflit armé ; Anouilh fait dire à son Antigone, en 1942 « Moi, je suis là pour autre chose que comprendre. Je suis là pour dire non et pour mourir » ; Sartre avec Les Mouches traite de résistance face à l’oppresseur allemand, tout en développant l’existentialisme. D’autres, comme Cocteau avec La machine infernale modernisent les mythes comme il le fait avec Œdipe.
Réappropriation et détournement sont des gestes que j’ai effectués à mon tour : le titre de mon premier roman, Les Mouflettes d’Atropos, publié en 2000 est un clin d’œil aux Parques ; j’ai un texte poétique sorti en 2003 intitulé Monologue pour épluchures d’Atrides et dans Les Sorcières de la République, édité en 2016, les déesses de l’Olympe s’installent en France pour aider les femmes à faire tomber le patriarcat. J’avais envie d’investir à nouveau ces figures, déesses et héroïnes, de revenir sur leur histoire à l’aune de la nôtre. Et d’élargir mon corps au-delà des seuls mythes grecs.
Comment ces formes mythologiques peuvent-elles parler à notre époque ?
Tous les personnages que j’ai choisis rentre en écho avec notre époque, interrogeant la place de la femme dans notre culture et notre société. Lilith est la première femme née en même temps qu’Adam de la glaise, elle revendique l’égalité, est la première à avoir dit non, elle incarne le refus de l’assujettissement à l’homme. Médée est l’incarnation de l’infanticide, or avant la version d’Euripide (en -431, sachant qu’elle apparait chez Homère au VIIIe avant J.-C.) elle ne tue pas ses enfants. La question de l’histoire des femmes réécrite par les hommes prompts à en faire des monstres s’en trouve donc soulevée. Circé, elle, en transformant les compagnons d’Ulysse en cochons, est mise en lien avec #balancetonporc.
L’idée est aussi de faire parler ces figures féminines, de trouver leur langue à travers ces treize monologues. J’essaie de me mettre à leur place, d’imaginer ce qu’elles voudraient nous transmettre, nous confier, réparer ou détruire.
Comment se passe une séance d’atelier ? Et la mise en lecture publique des textes ?
L’atelier d’écriture dure deux heures. Les participantes et participants viennent en ayant déjà en tête les grandes lignes du mythe et la forme qu’ils souhaitent pour leur texte, poésie, prière incantatoire, brève nouvelle. Je rappelle juste les points et attributs fondamentaux du personnage : l’objectif n’est pas de perdre un tiers du temps pour résumer ce qu’iels peuvent trouver d’eux-mêmes sur internet en un clic, mais de les accompagner concrètement au cœur de l’écriture. Je lis donc les textes en cours d’élaboration, identifie forces et faiblesses stylistiques, donne des conseils, discute fond et forme avec qui le désire, en espérant aider chacune et chacun à progresser. Je tiens à ce que les textes produits en atelier soient les meilleurs possibles, afin qu’ils aient le niveau pour être lus devant le public lors de la soirée quinze jours après. C’est pourquoi qui participe a dix jours avant le dépôt définitif du texte sur un Drive : peaufiner est possible, et je peux faire encore des retours à ce stade.
Les soirées, toujours autour de la même figure que celle de l’atelier, mêlent restitution des créations qui en sont issues, lues par leurs auteurices et lecture par moi-même de mon monologue ou de sa matrice. Parfois s’ajoute l’intervention d’une écrivaine ou d’un écrivain, qui se penche sur le personnage via une fiction, une poème ou une mini-conférence. Les textes les plus intéressants issus des ateliers durant les dix mois seront publiés dans un livret illustré par Lou Benesh.
Qu’en est-il du projet d’écriture de 13 monologues ?
Pour l’instant j’ai Lilith, Médée et je travaille présentement sur Circé.
Je dois tenir le rythme d’un monologue, ou de son ébauche, par mois, en raison des soirées. Je finis en juin avec les Sirènes. Je compte rendre les 13 monologues en septembre 2024 à Bernard Comment, mon éditeur, et les confier à Pénélope Bagieu qui illustrera le livre.
À noter que la forme monologue peut être bousculée : pour Médée j’ai ajouté un chœur et un coryphée.
À lire :
– Ishtar, un extrait de l’atelier, texte d’Isabelle Bourdon,
– Médée avant Médée, un extrait du projet en cours de Chloé Delaume.