Ecriture en délire à la Halle Saint-Pierre
Ecriture en délire rassemble près de 150 œuvres appartenant en majorité à la remarquable Collection d’Art Brut de Lausanne, mais aussi à des collections publiques et privées. L’exposition propose de nombreux textes, dessins et peintures, provenant d’Europe, des Etats-Unis et du Japon, de la fin XIXème siècle à nos jours. Elaborées par ceux qu’on a coutume de dire marginaux (sans qu’on sache si qualificatif conserve ici un sens qui rende compte de ce dont il serait alors question), par des hommes et des femmes, internés ou non, solitaires, évadés, souffrants, ces œuvres mêlent le texte à l’image, en des processus souvent répétitifs où le geste a parfois l’énergie d’une traque.
Lettres sans destinataires, plaidoyers, grimoires, invocations, rêveries, ces traces nous touchent comme les traces d’une inscription fantomatique et obscure. Elles ressemblent à des cabanes de papier que l’être affolé bâtit pour y abriter ses mystères.
Parmi les œuvres exposées, le terrifiant plancher de Jeannot (ci-dessus) :
né en 1939 dans une ferme d’un petit village des Pyrénées, Jean, dit Jeannot, a vécu dans la ferme familiale une vie de claustration, aux côtés de sa mère et de sa sœur. Lorsque la mère décède en 1971 et les enfants enterrent le corps à l’intérieur de la maison. Jean cesse alors de se nourrir et commence à graver, à l’aide d’un couteau, d’un poinçon et d’une gouge, le plancher de chêne de sa chambre à coucher. Il se laissera mourir de faim, cinq mois plus tard, à l’âge de trente-trois ans. Le plancher gravé sera découvert à son décès.
L’exposition présente également des oeuvres de August Walla, Henry Darger, Adolf Wölfi, Emile Josome Hodinos, Armand Schulters, etc. Parmi les œuvres stupéfiantes de mystère et de grâce, on retiendra celles de Reinhold Metz (né en 1942) qui a copié et calligraphié, en espagnol, allemand et français, le Don Quichotte de Cervantès, transformant ainsi en réalité le rêve borgésien.
(Pour un aperçu de ce travail, on pourra consulter le site des Collections d’Art Brut de Lausanne.)
Ce site, très riche, présente des reproductions d’œuvres et un historique des collections d’art Brut. On pourra y lire ces éléments de définition d’un art Brut, par Jean Dubuffet et Michel Thévoz.
« Nous entendons par là [Art Brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. »
Jean Dubuffet, tiré de "L’art brut préféré aux arts culturels", Galerie René Drouin, Paris, 1949.
Ou encore :
« Les auteurs d’Art Brut sont des marginaux réfractaires au dressage éducatif et au conditionnement culturel, retranchés dans une position d’esprit rebelle à toute norme et à toute valeur collective. Ils ne veulent rien recevoir de la culture et ils ne veulent rien lui donner. Ils n’aspirent pas à communiquer, en tout cas pas selon les procédures marchandes et publicitaires propres au système de diffusion de l’art. Ce sont à tous égards des refuseurs et des autistes. L’Art Brut présente des traits formels correspondants : les œuvres sont, dans leur conception et leur technique, largement indemnes d’influences venues de la tradition ou du contexte artistique. Elles mettent en application des matériaux, un savoir faire et des principes de figuration inédits, inventés par leurs auteurs et étrangers au langage figuratif institué. Dans la plupart des cas, ces caractéristiques sociales et stylistiques se conjuguent et s’amplifient par résonance : la déviance favorise la singularité d’expression et celle-ci accentue en retour l’isolement de l’auteur et son autisme, si bien que, au fur et à mesure qu’il s’engage dans son entreprise imaginaire, le créateur se soustrait au champ d’attraction culturelle et aux normes mentales.
L’œuvre est donc envisagée par son auteur comme un support hallucinatoire ; et c’est bien de folie qu’il faut parler, pour autant qu’on exempte le terme de ses connotations pathologiques. Le processus créatif se déclenche aussi imprévisiblement qu’un épisode psychotique, en s’articulant selon sa logique propre, comme une langue inventée. D’ailleurs, quand les auteurs d’Art Brut s’expriment aussi par l’écriture, c’est en accommodant la grammaire et l’orthographe à leur tour d’esprit. C’est une création impulsive, souvent circonscrite dans le temps, ou sporadique, qui n’obéit à aucune demande, qui résiste à toute sollicitation communicative, qui trouve peut-être même son ressort à contrarier l’attente d’autrui. »
Michel Thévoz, tiré de Art brut, psychose et médiumnité, Editions de la Différence, Paris, 1990, pp.34-35.
On pourra aussi consulter sur le sujet le site de l’association abcd (art brut connaissance & diffusion)et le site de la Fondation Dubuffet.
Informations pratiques
Ecriture en délire, jusqu’au 31 juillet 2005
HALLE SAINT-PIERRE
2, rue Ronsard - 75018 Paris
Tél. : 01 42 58 72 89 -Métro : Anvers/Abbesses
[Sereine Berlottier]