en atelier, second cycle des ateliers d’écriture à la BULAC (2)

Grand amateur de football, passionné de pêche à la mouche, Jean-François Ledoyen n’a jamais lu un polar de sa vie. Et c’est justement pour cette raison qu’il en écrit !

Sa plus grande fierté : que son prénom forme avec son patronyme le premier hémistiche d’un alexandrin. « A vous de compléter comme il vous plaira, plaisante-t-il : Jean-François Ledoyen est un grand écrivain. Ou bien : Jean-François Ledoyen est un piètre écrivain ! Au choix ! En tous les cas c’est toujours en alexandrin ! Et avec une rime interne en bonus ! »

Dans sa dernière interview, il revient sur ce qui l’a décidé à se lancer dans le roman noir : « Pour devenir un grand écrivain, dit-il, il faut soit avoir lu tous les livres dans le domaine dont vous vous êtes fait une spécialité, soit au contraire vous lancer dans un type de texte que vous ne connaissez absolument pas... Quand vous n’avez lu aucun livre, vous êtes vierge de tout préjugé ou a priori, cela vous permet d’écrire une œuvre nouvelle et originale. La pire des situations (à éviter à tout prix !) c’est d’avoir lu un seul livre dans le domaine que vous vous voulez explorer en tant qu’écrivain. Lorsque vous vous mettez à écrire, vous êtes sans cesse attiré comme par un aimant vers le seul modèle que vous connaissez. Pour ma part, j’aurais préféré écrire de la science-fiction. Mais j’avais lu par inadvertance Ravage de Barjavel et lorsque je me mis à écrire, je retombais toujours, et le plus souvent sans même m’en rendre compte, dans la vieille ornière de mon unique lecture. Je compris alors que pour me débarrasser de l’effet néfaste de cette seule lecture, il fallait que j’assimile plus d’un millier de livres. Mais après cela, le succès n’étais toujours pas garanti car je n’étais pas sûr de me sentir au-delà de toute influence et libre dans ma création. De plus, ma bibliothèque étant essentiellement composée de livres sur la pêche à la mouche, je ne m’imaginais pas abandonner ma lecture favorite pour me faire écrivain de science-fiction. Il était bien plus simple de choisir un autre genre littéraire que je ne connaissais absolument pas, et c’est ainsi que je devins écrivain de polar. Ma seule crainte aujourd’hui, c’est de commencer la lecture d’un livre au hasard et de me rendre compte vers la fin qu’il s’agissait d’un polar. C’est pour cela que je mets un point d’honneur à restreindre mes lectures à la pêche à la mouche. Mais même ainsi je ne suis pas totalement tranquille ! Imaginez un pêcheur mystérieusement égorgé par le fil de sa canne à pêche ! Le mieux, j’en conviens, serait de ne plus lire du tout... Mais cela m’attristerait d’avoir appris à lire pour rien... D’autant que je suis bon en orthographe et que c’est ma seconde plus grande fierté, etc. » (Impossible d’arrêter ce piètre ou grand écrivain quand il se lance dans l’explicitation de son savoir-faire...)

Jean-François Ledoyen rencontra très vite le succès avec son premier roman noir, Inspecteur La Taupe. Cet inspecteur au look démodé et mis au rancard de sa hiérarchie, y découvre par hasard le meurtrier dans une affaire classée sans suites. Outre son look des années soixante-dix, cet inspecteur se distingue par des interrogatoires inspirés d’une méthode qui a été enseignée quelque temps dans les écoles de police mais qui, étant donné les premiers résultats fournis par le ministère de l’Intérieur concernant son efficacité, a vite été abandonnée. Un de ces rapports comparait en effet l’efficacité de cette méthode à celle constatée, à peu près au même moment, à l’éducation nationale concernant la méthode globale d’apprentissage de la lecture. Cette méthode consiste (consistait ?) à accuser le premier prévenu venu afin de faire surgir de celui-ci des confidences inattendues et inespérées. Le concepteur de cette méthode, psychiatre reconverti dans la police allemande et dont La Taupe fut un disciple, la compara aux électrochocs. Un haut fonctionnaire de la police française (un des rares docteurs ès-lettres dans la profession) évoqua quant à la lui la maïeutique socratique : il s’agit de faire « accoucher par un questionnement tous azimuts » un aveu inattendu, selon son expression.

Inspecteur La Taupe se vendit à 220 000 exemplaires. Fort du succès de ce succès, Jean-François Ledoyen renoua avec les tirages à exemplaires nombreux avec La Taupe chez les fricots, où notre inspecteur mène une enquête dans les sex-shops de Pigalle, et La Taupe star, où le hasard le conduit jusqu’à la célébrité et ses plateaux de télévision et où (comble du paradoxe !) il inspire les plus grands couturiers pour leurs articles de mode.

Pour son dernier roman, sorti la semaine dernière, le fil d’une enquête mène l’inspecteur à grosse casquette bouffante en cuir marron au Viêt-Nam, à Java puis aux Philippines. En exclusivité, nous vous proposons ci-dessous un extrait de ce 4e roman intitulé La Taupe en Extrême-Orient.


La Taupe et son assistant, l’inspecteur Levallant, sont à la recherche d’un suspect bien connu des délinquants de Belleville sous le pseudo de « Chouchi » (ce qui vaudrait pour « Chourineur Chinois »). Après être passés au Viêt-Nam, son supposé pays d’origine, ils se retrouvent à Jakarta pour suivre une nouvelle piste.

Au moment où les pneus crissèrent sur la piste de l’aéroport international de Jakarta, l’inspecteur pensa : « Tout de même ! Voilà où mène la célébrité ! Moi qui n’avais pas quitté le 19e arrondissement excepté en 5e pour rendre visite à mon correspondant allemand ! Me retrouver de l’autre côté du globe ! Tout ça parce que la fille du ministre de l’Intérieur a absolument tenu à ce que ce soit moi qui m’occupe de cette affaire dont la victime est une de ses amies d’enfance ! Moi qui ne me sens bien pour travailler que dans mon 19e arrondissement, le seul endroit au monde qui vaille ! »
Il faut indiquer ici à nos lecteurs que La Taupe se faisait une idée assez personnelle des limites du 19e arrondissement, qui incluait tout Belleville, Pigalle, Barbès jusqu’aux adjacentes de la place Clichy et même (allez savoir pourquoi...) tout un quartier de Pantin en bordure du périphérique !
Puis il songea au Viêt-Nam qu’il venait de traverser à la recherche de Chouchi... Quelle différence entre les quartiers populaires de Saïgon (Hô chi minh) et ceux de Belleville ! Et même de ceux d’Offenbach, pourtant de l’autre côté du Rhin, que sa mémoire de collégien lui restituait en partie !
Une fois la douane passée, Levallant et La Taupe firent le point sur la situation. De leur expédition au Viêt-Nam, ils avaient décroché une adresse : 2 rue du Cracatoès, Jakarta. Un bout de papier que leur avait tendu un suspect en mourant ! Ils avaient aussi pu s’entretenir entre deux feux rouges avec un témoin pressé et méfiant qui leur avait certifié que celui qui pourrait vraiment les renseigner habitait à Jakarta et se nommait Banarang Atiku Radang. Il leur désigna l’homme au papier pour connaître son adresse à Jakarta. Une fois rue du Cracatoès, Banarang Atiku Radang leur dirait que leur témoin avait en fait confondu son nom avec une autre personne nommée Samarang Ratik Kurang. Un Jakartanais comme lui, et qu’il connaissait d’ailleurs... Mais qui était parti s’installer aux Philippines. Par chance il avait conservé son adresse... Il la leur donnerait donc... Mais avant d’avoir cette information qui les inciterait à retourner à l’aéroport pour sauter dans le premier avion pour Manille, il fallait trouver un taxi qui les mène rue du Cracatoès. La Taupe s’installa sur la banquette arrière d’un taxi et cria :
– 2 rue du Cracatoès, s’il vous plaît Monsieur !
– Sorry mister ?
– Parlez vous français ?
– ?
– Sprechen Sie Deutsh ?
– ??
Voyant que la situation était propice au malentendu, La Taupe s’adressa à son adjoint :
– Levallant, toi qui a fait anglais première langue, je pense qu’il est préférable que ce soit toi qui t’occupes de communiquer avec cet autochtone.
– Bien sûr Inspecteur ! Hello mister... Could you please bring us to Cracatoès street, number 2 ?
– Krakatoa ? Of course ! Come on !
Le chauffeur de taxi prit alors en direction de l’ouest et se positionna dans les embouteillages jakartanais, dont on dit dans les contrées indonésiennes sous influence bouddhiste que nul n’est sage tant qu’il n’a pas mis sa patience à l’épreuve de leurs pots d’échappement. Quatre heures plus tard, la voiture avait parcouru 32 km. Le chauffeur, qui prenait nos deux inspecteurs pour des touristes, les mena en fait devant le célèbre volcan qui fait régner la terreur entre Java et Sumatra.
– Mais qu’est-ce que c’est que ça ! s’écria La Taupe en voyant l’étendue bleue parsemée de petits cônes gris.
– Krakatoa sir ! Beautiful !
Il fallut faire marche arrière. Faire à nouveau quatre heures d’embouteillages, passer devant l’aéroport. Faire encore quatre heures d’embouteillages pour se rendre à l’adresse qui était à l’autre bout de la ville, et s’entendre dire, par le témoin, que l’homme qu’ils cherchaient se trouvait aux Philippines. Reprendre le taxi, refaire quatre heures d’embouteillages, acheter un billet pour Manille, attendre 24h à l’aéroport (le journalier Manille-Jakarta venait juste de décoller !), embarquer, attendre 1h dans l’avion pour un problème d’aiguillages sur les 3 pistes de l’aéroport Soekarno-Hatta de Jakart (inauguré en 1985), avant que les pneus de l’A340 de la compagnie Garuda ne décrissent.


Texte écrit par un participant à l’atelier d’écriture animé par

1er février 2013
T T+