Guillaume Vissac | à crâne fendre
Ma bouche : d’abord, un lent apprentissage
du silence. Il fallait qu’une bouche soit
celle des silences. Sans mettre
un mot, dira alors celle qui ne parlait pas.
Puis ensuite il fallut qu’une bouche soit
Longtemps j’appris auprès d’un crâne
celui d’une femme : une sourcière au seuil
d’une nuit en chute libre.
Nuit qui, le plus souvent, tombait dans une gorge
là où le pouls n’est encore qu’une cadence.
Je ne savais jamais où
la rencontrer ce crâne ni où
j’allais oser savoir aller à l’aube de
son sillage. Son sillage était beau et le
moins qu’on puisse en dire c’est qu’il
prenait appui en nous
dans l’une de nos mâchoires. Elle se
prétendait maître en médecine, or
elle ignorait tout du corps humain. Elle
disait, le corps c’est l’absence de corps
né à soi-même. Elle disait,
le secret de ce corps est à la fission de
son crâne et elle mimait à la fois et une laisse et
son poing la tenant. Mais
ce qu’elle appelait surtout de ses vœux les
jours où je me baignais dans
l’ombre de la sienne, c’était le silence
et la forme d’une main. À
quoi pouvait-elle correspondre cette main
était une question fausse
car la question qu’il est
d’usage de se poser, m’avait-elle appris, a
toujours avoir avec la forme et jamais la
main même. La main et la forme d’une main.
L’onde d’un silence ténu je la sentais
monter en moi, me prendre à la trachée, puis
me faire rendre gorge, puis gésir
(bouche au baiser de sa bouche)
gésir précisément ici (imaginez des souches,
feuilles d’ocre émiettées, racines qui ont
la veine sinueuse, humus amer et bleu, sol
en vallons, ravins de pierres et d’anses à
l’orée d’un ruisseau qui fait ripaille des
berges auprès de quoi il coule, à peine issu du creux
de la caverne, là où la source a pris).
Elle dit que le secret c’est d’être
un crâne à bris de corps. J’ai
échoué à m’abreuver comme elle
d’un silence qui me
manque. Ta bouche, a dit
le crâne, est faite pour dire les mots et
prodiguer l’orgue des soins : l’âme n’est
pas pour toi.
Où ai-je échoué ? Par
tout, a dit le crâne
(et le crâne parlait
avec sa bouche alors
signe que c’était bien
un désastre).
C’est un souvenir
que j’ai qui m’est longtemps resté :
ce crâne qui fut mon maître et qui dira souvent,
ma tombe n’existe plus depuis longtemps, ma
bouche est sur le seuil. Là d’où je parle,
c’est une gorge enlisée en elle-même, et ses nerfs
sont des cils recourbés. Crâne,
elle n’en était pas moins Homme et elle dédiait
des litres d’une noirceur à elle à
la mémoire d’arbres dont elle savait
effleurer l’âme et l’âge avec les lèvres. Elle aime à
lire la langue des arbres comme un braille lent
un cartilage fibreux. Elle
insistait beaucoup pour qu’on sache qu’un corps était
une machinerie sensible. C’était avant m’ostraciser
et me contaminer à la parole. C’était le début
d’une automne existence. Elle tient ses ongles
sur son cœur et des filets de sang zèbrent
ses bras de bronze quand elle dira c’est par
l’abolition de la parole
qu’il t’en faudra passer. Ma
bouche
depuis
échoue
et ces mots me l’emportent :