Il, et le père (#3)
Métro. Ligne 12. Wagon vide. Soupir strident des portes. Il est 16h30 fin août. Il s’assoit sur le strapontin du bout du wagon. Celui qui est près de l’extincteur. Dans le métro parisien, près de l’extincteur enfermé dans une boite métallique dont le haut est en pente - certainement pour qu’on ne puisse pas s’asseoir dessus et dont l’avant porte une vitre oblongue afin qu’on puisse voir le dit extincteur, il n’y a qu’un seul strapontin. Il peut poser son sac à côté de lui sans gêner personne. mais sans pour autant l’avoir dans les jambes et être gêné lui-même. Ça n’est pas vraiment utile qu’il se mette là pour ne pas gêner car le wagon est vide. ou presque. C’est une habitude qu’il a. Ça lui évite de réfléchir à l’endroit où il doit se mettre. C’est idiot il le sait, le wagon est vide. ou presque.
Il s’assoit et relève la tête. Moment d’incertitude. d’instabilité augmentée par la secousse de démarrage du métro. Il voudrait être à l’aise comme ce couple assit un peu plus loin dans la rame et qui discute fort pour couvrir le bruit. Lui est un peu rouge comme quelqu’un qui aurait pleuré. Mais elle n’a pas le visage de quelqu’un qui console. Il tend l’oreille pour comprendre le bruit de leur conversation. Mais non. Ils parlent de leur travail - ça n’est pas un couple, ce sont deux personnes qui se connaissent. Catégoriques. Ils savent où ils sont. Où ils vont.
Il ouvre sa liseuse électronique et reprend la lecture d’un livre qu’il a commencée des mois plus tôt [1]. Il s’était arrêté au milieu. Il ne sait pas pourquoi. Pourtant c’est un texte qui lui plaît. Il parcours quelques lignes mais il a du mal à contraindre sa pensée. Ses yeux glissent constamment pour regarder les occupants du wagon. A part le couple, personne ne parle. Les fenêtres sont ouvertes et le bruit de la rame, à la limite du supportable, empêche tout contact vocal. Le bruit lourd des roues de métal sur les rails résonnent dans le boyau du tunnel se faufilent dans les conduits auditifs martelant les tympans.
Il n’arrive toujours pas à s’installer dans son trajet. Comme les autres fois. Il met ça sur le compte de l’inhabitude. Il glisse des coups d’œil autour de lui pour observer les autres. pour savoir. Comment faire.
Elle. En face. La tête et les épaules penchées vers le livre énorme posé sur sa cuisse droite croisée sur sa cuisse gauche, les jambes ramenées sous le siège pour ne pas déranger son voisin d’en face. Ne pas déranger. N’est pas mieux installée que lui.
Souvent quand il prend le métro il reste debout. pour ne pas être dérangé. Pour ne pas avoir à se demander s’il peut rester assis ou s’il doit se lever pour laisser sa place ou de l’espace pour les gens debout. A esquisser le geste même. Pour ne pas avoir à se demander s’il est. Ici. à sa place.
Au fur et à mesure des stations, les gens montent ou descendent du wagon par la porte qui soupire jusqu’au claquement levant à peine les yeux de leur smartphone. Il n’arrivera pas, lui, à baisser à nouveau les siens vers son livre. fasciné.
Un homme monte avec un violon sous le bras. son étui dans le dos.
Il est toujours content de voir un musicien monter dans son wagon mais souvent la musique qui s’ensuit l’agace. Cette fois encore il coupe la musique de son lecteur MP3. Il ne saurait dire si c’est pour écouter le musicien ou pour que les deux musiques ne se percutent pas. C’est très certainement la deuxième solution qui est la bonne.
Le musicien se place au milieu du wagon. Se met à jouer. Rien. On ne l’entend pas. A cause des fenêtres ouvertes. Du bruit qu’elles laissent entrer.
Ça l’ennuie car à la façon dont l’archet caresse les cordes de l’instrument il sait que cette fois la musique n’est pas agaçante.
Puis les notes arrivent. Enfin. Longues, étirées et douces. L’homme en short et en t-shirt rose délavé joue un air de musique classique. un vrai. Posément.
Bien sûr il ne reconnaît pas. Il ne connaît pas de toute façon.
Instant inhabituel. qui semble l’être aussi pour les autres voyageurs. Le wagon parait silencieux. Là-bas, le couple dont l’homme a le visage un peu rouge s’est tu. Les voyageurs ont relevé la tête. regardent le musicien.
Il a oublié son l’installation dans son trajet. Il regarde le musicien et les visages interdits tournés vers lui.
L’homme entame la mélodie d’un deuxième morceau. Connu. Non qu’il sache la nommer mais, plus que la première en tout cas. Les autres voyageurs ne s’y trompent pas eux non plus. Les visages retombent vers les smartphones et le couple à l’homme au visage rouge reprend sa conversation. Le bruit des roues supplante à nouveau la musique.
Il est assis. toujours. Il ne se demande plus s’il doit se lever. Lorsque le musicien passe entre les sièges, pour la première fois il tire une pièce de sa poche et lui donne. Pour la première fois, lorsqu’il s’oblige à le regarder dans les yeux son regard ne fuit pas.
Sursaut. Coup d’œil au nom de la station - Madeleine. Va-et-vient rapide de son regard entre le panneau bleu de la station et le plan de ligne collé au dessus de la porte qu’il connaît pourtant par cœur. Changement. Il sort.
[1] Il s’agit de Va t’en va t’en c’est mieux pour tout le monde de Christophe Grossi