Joachim Séné | En lisant M.E.R.E de Julien Boutonnier
arbre témoin de la Shoah dans les forêts allemandes et polonaises
bouleau
La peau tatouée et "ne pas comprendre" ce qui arrive.
La peau tatouée et "ne pas comprendre" ce qui arrive.
la première salle.
la deuxième salle.
la troisième salle.
j’ai été nu dans
on a rasé mes cheveux dans
j’ai été tatoué dans
ça m’a fait mal.
j’ai vu le nombre sur la peau.
les chiffres.
M.E.R.E La construction d’un récit dont la matrice est la littérature de la Shoah, comme je relevais dans ma lecture du Journal de galère d’Imre Kertèsz, l’an passé (déjà), les stations d’un Chemin de Croix, un récit fondateur, un mythe.
Or, la mémoire est précisément ce que Camille de Toledo attaque dans Le Hêtre et le bouleau (sur lequel je n’ai pas assez écrit), une honte, une hantise, d’où il faut sortir, sortir de ce qui cause la "tristesse européenne" et qui "nous interdit d’expérimenter des avenirs possibles", ce qui fait que Dresde s’est reconstruite en cherchant ce qu’elle était dans les années 1930 plutôt que ce qu’elle pourrait être dans les années 2030. Camille de Toledo refuse de se laisser attacher aux monuments à la Mémoire ; Julien Boutonnier s’empare de la puissance de récit que constitue la déportation à la manière d’Imre Kertész dans son livre récit-témoignage-fiction Être sans destin (lire ici).
Il s’agirait de se fondre dans une dialectique entre ces deux devenir-mythes. Le premier, celui de la réalité honteuse, effrayante, hantise h-antique, celle qui nous empêche, nous retient — dans ce que de Toledo va jusqu’à nommer "émotion touristique" à propos de l’effet des monuments construits pour occuper l’espace avec le poids de la mémoire qui empêche, le rôle politique de ça, l’usage qui en est fait à notre encontre, car nous empêcher est utile, nous retenir est utile, pour qui gouverne, qui entend conserver le Pouvoir dans des filets qui nous retiennent, ni plus ni moins que les mêmes filets réactionnaires habituels qui finissent avec 50 % aux élections ±1%. Ce mythe là, cette mémoire là, peut pourtant devenir matrice narrative ou poétique pour tenter d’approcher ce qui ne peut pas se dire, comme Julien Boutonnier l’emploie pour dire une perte irréparable.
Le second celui de "l’insurrection émotionnelle", comme l’appelle de ses vœux Camille de Toledo dans Le Hêtre et le bouleau (lire ici), une utopie qui oublie pour mieux créer en "échappant au socle de la tristesse" ; son utopie à lui consistant à inventer ou parler une langue européenne qui serait soit "la traduction", soit le Yiddish, ce "devenir-créole" européen. Ailleurs, Camille de Toledo mentionne "cette époque intense de relecture" que fut la Renaissance, "chambardement et métamorphose", et la performance de Julien Boutonnier, et son texte — M.E.R.E se décline en trois versions différentes et complémentaires : une version spatialisée au format papier, une version en prose au format numérique, enrichie de photographies, de montages audio, de citations et d’extraits du journal de l’auteur, et enfin, une version performée proposée sur le site http://balises.net —, me semble s’inscrire, plus que dans un mouvement de relecture, dans un mouvement d’écriture ; pas de ré-écriture, il s’agit d’inventer une forme à partir de ce qui s’est écrit, non pas réécrire ce qui s’est écrit ni l’écrire autrement, mais écrire autre chose et c’est ce que fait Julien Boutonnier à partir de son "rêvedenewyork", à propos duquel on écoutera/lira aussi Ma mère est lamentable.
dans l’attente
quelqu’un a pleuré
c’est pas la peine
quelqu’un a dit
11 mars 2019