Jour 12 : Nuages
Aujourd’hui, histoire de passer le temps, tu as dit au conducteur de car, le ciel est couvert, il fait gris, pour sûr, il va pleuvoir. Le conducteur de car a répondu, non, ces nuages-là, ce ne sont pas des nuages de pluie. Brutalement, tu as été reconduite à ton ignorance de citadine. Alors, tu t’es demandé : depuis l’enfance, qu’ai-je observé du ciel ? Quels signes météorologiques ai-je jamais appris à décrypter ? Quelle sensibilité aux vents, aux couleurs, aux odeurs, ai-je jamais développée ? Tu vois du gris et c’est souris. Tu vois du bleu et c’est pervenche. Tu ne sors pas des évidences. De la terre et de son langage, tu ne saurais être une belle interprète.
Pourtant, de gris nuages planent au-dessus de ton monde de littérature. Tu donnes la voix à des conteurs qui sentent venir l’orage, la tempête et les tourbillons. Tu leur fais dire l’instabilité et la bascule, la pente et le péril. Sous la lumière éteinte des cumulus tes personnages suivent un chemin de l’ombre, accélèrent le pas sous la piqûre des gouttes, quêtent en vain la corniche sous laquelle s’abriter.
À l’inverse du conducteur, tu affirmes qu’il pleut. Qu’il pleut des larmes et des sanglots, et tu sens que depuis l’enfance, tu n’as guère appris que cela, frémir par avance de la dense désespérance des cieux.
Pourtant, de gris nuages planent au-dessus de ton monde de littérature. Tu donnes la voix à des conteurs qui sentent venir l’orage, la tempête et les tourbillons. Tu leur fais dire l’instabilité et la bascule, la pente et le péril. Sous la lumière éteinte des cumulus tes personnages suivent un chemin de l’ombre, accélèrent le pas sous la piqûre des gouttes, quêtent en vain la corniche sous laquelle s’abriter.
À l’inverse du conducteur, tu affirmes qu’il pleut. Qu’il pleut des larmes et des sanglots, et tu sens que depuis l’enfance, tu n’as guère appris que cela, frémir par avance de la dense désespérance des cieux.
J’ai proposé d’élaborer une nouvelle stylistique – avec des notions comme celles de métaphores-avant ou de figures-avant – apte à rendre le lecteur sensible à la manière dont les œuvres littéraires et artistiques bruissent, au plus profond de leur lettre, des événements et des autres œuvres dont elles pressentent la survenue.
Il serait de même opportun d’inventer de nouvelles formes de conjugaison – comme le passé à venir ou le futur advenu –, qui n’enserrent pas le discours dans une temporalité rigide, mais montrent comment les œuvres, à l’instar de leurs auteurs, sont prises dans des croisements de flux temporels qui les rendent tout autant dépendantes de ce qui les suit que de ce qui les précède.
Pierre Bayard, Demain est écrit, 2005.
Il serait de même opportun d’inventer de nouvelles formes de conjugaison – comme le passé à venir ou le futur advenu –, qui n’enserrent pas le discours dans une temporalité rigide, mais montrent comment les œuvres, à l’instar de leurs auteurs, sont prises dans des croisements de flux temporels qui les rendent tout autant dépendantes de ce qui les suit que de ce qui les précède.
Pierre Bayard, Demain est écrit, 2005.
7 mai 2024