L’atelier "Portrait étrange" |3

Je pense à ce tableau de G. Richter.
L’Apparition, vu à Beaubourg une fois. Le visage apparait à une certaine distance, sinon c’est une abstraction.
J’ai besoin de le regarder régulièrement, qu’il ne soit pas loin.
J’aime cette idée de silhouette, de flou. Trouver la bonne distance.
Ou sinon d’hyperréalisme (et dans mon travail à partir d’entretiens j’oscille encore entre les deux, l’envie d’une profusions de détails, de précisions, de documents, de réalisme, pourquoi pas de photos- j’aime comme Sebald en insère dans ses textes par exemple).


Au théâtre, ce qui m’intéresse : comment ça apparait et comment ça parle.
Ces deux conditions : un corps, quelle silhouette, forme, nait, surgit, s’imprime dans l’espace, et sur la rétine, ou, à l’intérieur de soi.
Et comment ça parle, comment ça “bruisse” comme dirait Noëlle Renaude. Quel rythme, musique, façon de parler.
La langue fait aussi portrait au théâtre.

Ainsi, après être passé par du récit, listes, descriptions, etc. j’essaie en atelier de resserrer le travail des portraits autour de cela :
L’apparition de la personne / personnage
Et ce qu’il/elle dit. Sa parole, révéler sa parole- comme une photo se révèle- la faire surgir, dans son mouvement, son souffle, sa musique.

Pour le philosophe Jean-Luc Nancy : “ (…) l’important dans un portrait, ne se trouve certainement pas dans les conditions de possibilités d’une image ressemblante, mais dans la venue en présence d’un sujet”.

Cette idée de présence, d’apparition, de manifestation d’une présence par le portrait.


Et puis, nous lisons des extraits de textes en lien.

“Inventaires” de Philippe Minyana, monologue de femmes, écrits à partir d’entretiens pour lesquels l’auteur leur a demandé d’apporter un objet.
“Rendez-vous gare de l’est”, que Guillaume Vincent a créé avec Emilie Incerti Formentini, à la suite d’échanges avec une femme autour de la dépression.
William T. Vollmann et W.G. Sebald.

Nous regardons ensemble des portraits d’Alain Cavalier. Cette manière de poser les questions, de regarder, cette attention au détail, cette façon de mettre doucement en scène.

(Et puis, chez moi je continue, je passe aussi par une phase de documentation théorique, philosophique (Levinas) etc.)

Nous visionnons quelques modules/capsules qu’Arte a réalisés autour de “portraits photographiques”, où l’on voit des photographes au travail. Stephane Lavoué notamment. (On le voit chercher à obtenir quelque chose, qui serait par exemple, avec des personnalités connues, que quelque chose lâche, se fissure, qu’on puisse voir qui est derrière le personnage publique. Ou est-ce, attraper quelque chose qui échappe à l’autre, dévoiler. Il en parle comme d’un match de boxe, comme d’une chasse. Il gagne, il obtient quelque chose, ou bien il perd. Il y a une tension entre le modèle et lui. Il cherche à percer.
Ce qui nous intéresse là aussi c’est : il prépare, studio, éclairage, place son modèle en un point précis, le sollicite physiquement, le met en mouvement, le déstabilise. Voir ce que ça signifie en termes de littérature, d’entretien.

Penser à ça, qu’est-ce que vous allez vouloir obtenir ? Qu’est-ce que vous allez chercher en l’autre ? Peut-être rien, peut-être est-ce flou.

Quel sera notre cadre à nous, qu’est-ce qu’on peut poser ?

25 février 2020
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