L’exercice de la disparition
Il est des livres dont on sort chamboulé. À ne pas savoir comment dire l’émotion ressentie en lecture. On sait d’emblée que l’auteur est descendu jusqu’au fond du puits qu’il avait lui-même creusé. Qu’il s’est agrippé à une corde invisible, qu’il est parvenu à remonter et à recoller les morceaux. Que les blessures sont toujours apparentes. Et qu’il a marché en aveugle sur le fil d’un équilibre devenu précaire à force d’addictions.
« Je me souviens l’avoir risqué tant de fois cette vie, à brutaliser mon corps, à organiser sa destruction, à lutter contre la douleur, à aimer fièrement l’insensibilité physique et morale. »
C’est en partie de cela qu’il est question dans L’exercice de la disparition. Mais pas seulement, puisque ce livre, construit en deux volets, l’un en prose (écriture blanche sur fond noir) et l’autre, constitué d’une suite de poèmes (imprimés en noir sur blanc), est la preuve indubitable d’une présence au monde. Celle d’un homme qui revient de loin mais qui ne peut occulter les épreuves qu’il a vécues.
« Pour la gueule d’homme que j’étais, c’était la faiblesse sensible de ma glotte idiomatique que je voulais offenser, traverser à l’aide de l’acier chaud du poison alcoolique. Pour en arriver à l’épave glauque du corps, considéré absurde par son vide constitué, absurde pour sa forme et ses fonctions tant arbitraires, et si peu imaginatives dans leur évolution. »
Pas de plaintes en ces pages. Pas de faux-fuyants, pas d’auto-flagellations excessives. Mais une sincérité sans failles pour tenter de cerner les contours d’une période douloureuse. Ce retour sur soi, sur ses tourments, sur ses peurs, sur ses culpabilités est exigeant et pointilleux. Il montre ce qu’il advient de celui qui, à un moment donné, se fissure au point d’en perdre sa langue, son élocution et la maîtrise de son corps.
« Tu marches
Tu regardes
Partout regarde
Des choses vues
Obstruent tu marches
Tu regardes
Lianes
Étreignant
Étouffent
Choses s’organisent pas
Pas possible de décrire
Faut dire que dans la
Vie tout dégringole dans tous les sens »
Le mot « disparition » est à prendre avec précaution. On peut simplement ne plus paraître. C’est cette possibilité, discrète et sous-jacente, qui semble prévaloir au fil des poèmes qui se succèdent dans la seconde partie du livre. L’environnement immédiat (l’appartement, la ville, la banlieue) et la remémoration de lieux plus lointains (sentiers, littoral, canal, espace minéral) peuvent aspirer l’être et le rendre invisible tout en le gardant en vie.
« C’est aux frontières et aux jointures qu’apparaissent toujours de nouveaux mondes, déroutés. »
L’exercice de la disparition pose des questions essentielles, qui ont à voir avec la complexité de la psyché humaine et l’insoupçonnée capacité de résistance qui parvient (pas toujours, hélas) à s’enclencher quand il y a risque imminent de grand basculement.
Mathieu Brosseau : L’exercice de la disparition, dessins de Ena Lindenbaur, Le Castor Astral.