La divine forêt

Roman de Giuseppe Bonaviri


Né en 1924 à Mineo, Giuseppe Bonaviri a souvent placé sa ville natale, située dans la province de Catane, en Sicile, au centre de ses romans. On la retrouve également dans La divine forêt, livre publié une première fois en Italie en 1969. La cité perchée apparaît dans un vaste territoire aux abords montagneux et vallonnés.

Le roman débute en un passé lointain, sans doute peu après le big-bang. La terre sort à peine de son brouillard cosmique. Elle bouge, se déploie, a déjà façonné crevasses et collines, ravins et pentes abruptes, mers, torrents et rivières. Vallons et coteaux se couvrent de végétation. Les herbes chuchotent et se parlent. Les arbres en font de même. Tous ont un peu peur du vent et du soleil, ces dieux étranges qui commencent à montrer leur force et leur pouvoir. Le narrateur vient lui aussi de naître. Il a subi plusieurs métamorphoses et, après avoir été plante de bourrache, le voici devenu vautour.

« Ce n’est pas tous les jours que l’on devient vautour, là-haut dans les terres de Camuti »

Il s’appelle Apomeo, déplie ses ailes, aime l’apesanteur, vole très haut, aperçoit des êtres minuscules au ras du sol. Ainsi, ce lapin qui entre dans son champ de vision sans se douter qu’il signe là son arrêt de mort.

« Je fondis sur le lapin qui s’aplatit sans rien dire, et je lui plantai mes serres dans le cou, en éprouvant un plaisir qui dépassait tous les autres.
"Qu’il est mou", pensais-je.
L’animal s’était renversé sur la roche qui était blanche, calcaire ; j’enfonçais davantage mes serres et je vous jure que je ne me sentais nullement méchant, mais initié à une nouvelle forme de vie »

Apomeo apprend vite. Il mène une vie de rapace épanoui, multiplie les escapades, survole roches, bosquets, amandiers et oliviers, s’offre quelques battues quotidiennes et apprécie tout particulièrement le goût des lapins, des lézards et des renards. Bientôt, il rencontre sa compagne, Toina, et ne tarde pas à emménager avec elle, dans un « beau trou vers le sommet des rochers, à Fiumecaldo ».

« Soyez heureux, soyez heureux, nous disait parfois un vieux hibou qui se tenait tout seul dans son nid, sur un piton rocheux, non loin de nous. »

Le jour où Toina, qui rêve d’un amour très intense, s’en va, c’est Michele, le hibou presque centenaire, qui prend les commandes et décide de guider Apomeo, pris de mélancolie puis de rage, pour essayer de la retrouver. D’autres se joignent à eux. Il y a là Cratete, le merle, Apollodoro, le rouge-gorge, Panezio, le pivert ou encore Antistène, le grand duc, toute une communauté d’oiseaux solidaires qui appartiennent à "l’école du caroubier", du nom de l’arbre où ils se rassemblent pour échanger et méditer.

L’histoire, contée par Apomeo en personne, se concentre dès lors sur la recherche de Toina. Le vautour et ses amis survolent Mineo et ses environs et poussent jusqu’à la mer où Michele connaît du monde, notamment Pirone et Fliunte, deux dauphins qui s’amusent à danser sur les flots. Ils se posent sur le dos du premier et remarquent au loin des embarcations chargées d’hommes, « des êtres tourmentés par l’erreur et par les peines » que Pirone leur déconseille d’approcher.

Ces animaux étranges inquiètent et font peur. Intuitivement, Apomeo les sent capables du pire. Qui adviendra le jour où ces terribles prédateurs s’empareront du feu pour le propager en brûlant arbres, herbes, grillons, écureuils, oiseaux trop distraits et même quelques enfants, surpris par les flammes alors qu’ils cueillaient des fruits « au plus épais du micocoulier. »

« Il nous arrivait de voir des squelettes noirs d’oliviers – qui abondaient en cette zone – d’où pendaient des oiseaux sans vie. Pour les hommes c’était une véritable manne. »

Pendant ce temps, les recherches d’Apomeo se poursuivent mais restent vaines. À la fin, il ne voit qu’un seul endroit, non encore exploré, où Toina peut s’être rendue, en quête de nouvelles aventures : la lune.

« La lune se levait, énormément grossie dans son diamètre, les bords tout luisants. On avait l’impression qu’il suffisait de tendre une aile pour pouvoir la toucher. »

Giuseppe Bonaviri, qui exerçait par ailleurs la profession de médecin, est décédé en 2009. Il laisse une œuvre diverse et envoûtante, celle d’un fabuleux conteur. Le suivre dans La divine forêt, récit rare et réconfortant où prose et poésie s’assemblent naturellement, est un vrai bonheur de lecture. Fasciné par la biologie et persuadé que les hommes, les animaux, les plantes et les éléments sont égaux et interdépendants, Bonaviri donne libre cours à un imaginaire qui vibre entre ciel et terre et qui se nourrit de contes, de fables, de légendes, de mystères et d’histoires ancrés dans les mémoires ancestrales de son île natale.


Giuseppe Bonaviri : La divine forêt, traduit par Uccio Esposito Torrigiani, postface de Giorgio Manganelli, traduit par Philippe Di Meo, éditions La Barque.

Jacques Josse

13 août 2024
T T+