Le Renvers

Nouvelles de Robert Alexis


Avec ces onze nouvelles, ancrées dans des époques et des territoires différents, Robert Alexis s’attache àsuivre les pérégrinations souvent houleuses de personnages qu’il saisit àbras le corps, àun moment crucial de leur existence, quand le besoin impérieux de renverser la table les pousse àchanger de vie et àoser passer outre certains interdits. Tous ont en commun un présent qui ne leur convient plus. Ce sont des battants qui n’entendent pas économiser leur énergie, ou ménager leur monture en ayant, logée dans un coin de leur cerveau, l’idée saugrenue de faire des vieux os. Il leur faut aller de l’avant. Et se battre, y compris contre eux-mêmes, pour que s’allument des torches capables de les éclairer.

« Â Je n’ai pas de questions àadresser aux Dieux. Je me fiche de l’amour, de la famille, des sciences, du progrès et des lois de la cité... Je me fiche de tout ce que l’on m’a donné. Je suis sans principes, sans commandements, je ne crois rien de ce qui me semble futile ou trivial, ou essentiel, ou anodin ou principal. Chaque lettre m’est lettre àl’infini. Aucun de mes comptes ne se termine. Je n’ajoute pas les phrases aux phrases, les calculs aux calculs... Je me méfie de tout.  »

Ainsi parle l’un des personnages, loup de mer au cuir tanné qui s’apprête àmener un bateau maudit, marqué par le signe, ayant déjàdeux échouages àson passif, en pêche dans le fracas des eaux tempétueuses du Grand Nord. D’autres s’expriment plus posément, avec dextérité, l’un en sculptant un Christ (forcément invisible d’en bas) en haut d’une cathédrale, un autre en conduisant un camion tractant deux remorques chargées de Douglas et d’épicéas sur un pont en bois qui branle au-dessus du vide. Ces hommes sont en quête d’adrénaline et ne peuvent la trouver qu’en mettant leur corps àl’épreuve et en actionnant leur instinct de survie àl’instant T.

« Â Je faisais de ma vie une vie ! plus rien d’indifférent ! de quoi mordre aux chairs d’oiseaux, d’orages, de flaques àenjamber, la multitude de simples auxquels un seul regard, disposé sous l’angle du désir féroce, permet de ces trouvailles où l’esprit s’égare tout en se retrouvant.  »

Robert Alexis suit les êtres qu’il met en scène sur une distance assez longue pour que le lecteur puisse pénétrer dans leur intimité, leur passé, leur personnalité et leur quotidien. Lancés sur des chemins sinueux, ils avancent, sautent ou contournent les obstacles qui se dressent devant eux sans savoir s’il iront au bout de leur quête. Ils ont choisi leur route et n’ont pas de but précis àatteindre. Mordre àla vie leur suffit. Et cela, Robert Alexis, avec son écriture souple et envoà»tante, passant d’une atmosphère àl’autre en affà»tant son vocabulaire et en brossant des décors adéquats, le transmet parfaitement, lui qui sait quitter les protagonistes de ses nouvelles au bon moment, sans avoir recours àla fatidique chute finale, les laissant simplement poursuivre (ou pas) leurs aventures au bord de l’inconnu.


Robert Alexis : Le Renvers, Quidam éditeur.

Jacques Josse

30 juin 2021
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