Le (vrai) sexe des anges de Pierre Edeikins
Comment dire le sexe en littérature ? Pas le rapport amoureux, pas la petite scène de cul, mais le sexe, l’impossible et le tenace. Peu d’écrivains réellement s’y essayent. Pierre Edeikins dont c’est le premier livre, y va. Filles, garçons, femmes, hommes, France, Afrique, rue et bourgeoisie, ça se mêle de façon éruptive par le biais d’un narrateur affamé. Le sexe à nu, à cru, en autant d’épisodes que d’expériences, faisant parfois tableaux - l’auteur est connaisseur de la peinture classique, italienne en particulier – comme on ouvre une boîte de Pandore.
Car il y a un habillage malicieux, une histoire de Jugement qui ouvre et ponctue le livre, une sorte de tribunal qui tient de la Bible et du Comité Central, ainsi nommé, où le narrateur est convié à se transformer en Ange pour être sauvé.
Les majuscules exagèrent l’emphase et l’habit. Il s’agit de mise en scène. Qui s’avèrera plus cruelle qu’on ne pense, car sous les ailes des anges, la réalité des corps ne s’estompe pas. Après la jouissance, viennent la vieillesse et la maladie.
Pierre Edeikins donne son meilleur dans ces épiphanies qui sont autant d’accouchements de viscères de peaux d’organes de sueur et de sperme. Car il s’agit du sexe des hommes, même si les femmes sont partenaires. Il s’agit aussi d’une époque où régnaient drogues et musiques, juste avant le SIDA, âge de l’insouciance où laisser aller sa folie sexuelle, croyant à l’invulnérabilité. Il s’agit des relations France-Afrique, d’un colonialisme toujours présent, et de l’amour puissant du narrateur pour ce pays, ces corps, ces envoûtements, cette beauté noire qui le fascine – mais n’y a-t-il pas là encore une forme de culture occidentale européenne qui doit mordre la poussière pour que le culte soit brisé, enfin baisé ?
La première partie du livre, Rapport d’activité, est donc une mise en sexe permanent, descriptions d’accouplements dont l’accumulation réussit à éviter voyeurisme et simple excitation et compose une brillante anatomie des corps et des approches. Écrire le sexe, oui, c’est mettre "en rapport", l’écriture se distinguant le moins possible des actions, dans une illusion dont la vibration doit, elle, garder vivant son effet de réel, la description ne tenant la route que si elle crée une tension toujours renouvelée. L’écriture est physique, tous les écrivains ne partagent pas ce point de vue, mais celles et ceux qui disent le sexe le savent.
Les parties suivantes sont postérieures et comme posthumes à la pulsion de vie qui régit la première. Tout ce qui vient après est retombée, chute, alors même que les ailes ont poussé au narrateur. Le corps entre en déroute et c’est atroce. Pierre Edeikins déploie alors toutes les facettes de son humour pour ravager efforts de sociabilité, rencontres avec psys et médecins, addictions diverses dont aucune n’arrive à la cheville de sa vie première, sa seule, sa vraie vie, la vie sexuelle, la vie dévorante et splendide. Il y aurait bien la poésie, plus que la peinture, pour en dire quelque chose, mais comment démesurer sa mesure ?
Demeure alors l’éclat des mots, la façon dont ils se sont emparés d’une douceur de peau, d’une asphyxie passagère, d’une fièvre et d’une convulsion où tient tout entière la vie. Demeure la mélancolie attachée à la chose, Baudelaire n’est jamais loin.