les textes qui passent par là

par Marie Cosnay, dans le cadre du dossier transversal ateliers d’écriture en résidence



les textes qui passent par là

ce ne sont que des expériences différentes

auprès des élèves, jeunes ou un peu moins

auprès des étudiants des écoles d’art

auprès des publics de médiathèque

auprès des publics de stage d’été

en prison, en centre d’accueil de jour

dans les foyers des centres sociaux (de moins en moins - car les centres sociaux ?)

tous ces publics se divisent en deux grandes catégories : ceux qui ont une demande et ont choisi la pratique d’écriture (certains élèves en ateliers du midi, les personnes en médiathèque ou en stage, mais là, re-division entre ceux qui payent et ceux qui ne payent pas), ceux qui n’ont pas choisi (écoles d’art, centre d’accueil de jour, prisons, collèges, mais re-division encore, entre ceux qui s’en passeraient bien et ceux qui s’ennuient tant dans les activités ou non activités quotidiennes que finalement ils veulent venir).

ne pas croire du tout qu’avec ceux qui ont une demande tout se passe bien et avec les autres un peu moins bien. C’est plus fouillis que ça. Je pose mal la question : il vaut mieux dire que parfois ça se passe et parfois, beaucoup plus rarement, ça ne se passe pas. Quelle que soit la demande de départ et la situation des écrivants.

un public adulte qui a choisi (et même parfois cherché à pratiquer l’écriture) a une exigence, une idée aussi de ce qu’il/elle veut, des idées sur la littérature une expérience de lecteur/rice (d’auteurs très connus, de best-sellers), alors quand on propose Noémie Lefebvre, Caroline Sagot-Duvauroux ou Christophe Manon, il y a comme une panique.

la panique, quand l’atelier est régulier, est levée et c’est très beau. Des textes naissent, parfois réfractaires, toujours intéressants, on en parle en fin de séance, longuement, même parfois beaucoup plus tard, parce qu’une forme, un visage, un motif qui a vu le jour ici nous marquent encore.

un public adulte, en stage d’été par exemple, est le plus souvent demandeur de formes qu’il ne connaît pas, curieux. Mais parfois des fragilités se disent, ça craque, parfois ça se crispe et c’est alors tel auteur qu’on juge être vraiment, ce gars qui parle aux morts (il s’agissait de Rulfo), complètement fou. Nul. Pourquoi on nous fait lire ça, non mais vraiment c’est morbide. J’aurais mieux fait de m’inscrire en atelier cuisine. Et puis on revient à Rulfo.

la panique avec les élèves (collèges, lycées, volontaires a priori, par exemple inscrits au festival des lycéens, qui pratiquent l’écriture, le slam, la poésie, par ailleurs, ou non volontaires, classes un peu difficiles, soit par excès d’énergie soit par absence d’énergie) ? Je ne l’ai pas vue. Quelques envies dans les premiers cas, par exemple celle de rester accroché à la rime, de ne pas trop écouter les consignes. Un plaisir à lire ce qu’on a écrit, après. La dernière fois, on a écrit après ou avec la poésie de Bolano et d’Antjie Krog, ils avait entre 15 et 17 ans.

avec ceux dont les professeurs ont choisi l’activité et sont passionnément impliqués (ce qui a toujours été le cas dans mes expériences) dans le projet, « ça se passe » toujours. Bien sûr parfois il ne faut pas écrire « je », éviter, c’est difficile en 3ème, car c’est au programme, l’autobiographie, parfois il faut expliquer ce que c’est que la fiction, la fiction, la fiction, il faut donner des idées, parfois encore il faut décomplexer l’orthographe, parfois il faut prendre soi-même le stylo et écrire sous la dictée, il faut y passer du temps, il faudrait y passer du temps, mais pas trop de temps d’affilé, par exemple trois heures c’est bien long. Au collège on peut lire ce qu’on veut, des choses très trouées comme ont dit une fois les petits. Mais Madame, on peut écrire comme ça, nous aussi, tout troué ? On peut. Après on se lit, c’est très rare que quelqu’un ne se lise pas. On applaudit. On s’applaudit. Il y a de la joie, mais ça ne veut pas dire que les textes lus et joyeusement accueillis seront rangés dans un cahier, après : non, parfois, avec les profs, on les trouve perdus ou roulés en boule dans la poubelle du CDI. Le texte s’est passé, il est passé par là, il passe. Pourquoi pas.

il y a les publics non demandeurs du tout, par exemple au centre d’accueil de jour d’Emmaüs, l’Agora,. Il y a les besoins immédiats qu’ont les gens, besoins immédiats, se doucher, savoir où ils vont dormir le soir, le stress, le manque de disponibilité, la fatigue, l’impatience. Ils viennent quand même. Annonçant qu’ils n’ont pas le temps ou n’écriront pas. Pour cause de doigts gourds. Pour cause de français défaillant. Ils sont là. On lit, on lit Ovide. On regarde des extraits de films, on va de Tarantino à Pelechian. Parfois, dans l’atelier, quelques personnes ne comprennent pas du tout le français. On repasse les extraits de films. On dit des phrases simples de la conversation de tous les jours et on apprend à les répéter. Parfois Ovide ou Pasolini sont un prétexte et on parle de la vie de tous les jours quand on vit dehors. On parle du passé. Parfois on écrit un texte, une métamorphose, de l’amour, de soi-même, d’un animal. Les textes, on pensait les garder précieusement dans un cahier. La conservation des textes, ça ne marche pas bien. Apparemment on n’en a pas tellement besoin, les textes sont passés par là, ils nous ont atteints puis ils se retirent, libres tout comme leurs auteurs.

je l’ai écrit au début : parfois ça ne se passe pas. J’ai un exemple. On est en école d’art et depuis quelque temps en école d’art, on fait écrire les futurs jeunes artistes. Ils disent eux-mêmes cette année-là que s’ils ont choisi l’image, c’est quand même pas pour écrire. L’habitude ou le goût qu’ils ont ? Lire de tout petits morceaux de textes contemporains, je dirai des phrases, des phrases ou même des mots, ils s’en servent pour accompagner leurs œuvres en gestation, des mots-valises, des bouts, des morceaux. Je vais les faire lire. Des textes. De longs textes. Virgile Beckett Creeley Pasolini Virgile encore Bertina Marc Perrin Bon Bernanos Virgile encore. Jamais je n’avais vu ça : au lieu d’écrire, ils ricanent. Ils n’écriront pas. À la fin de l’année, dans le meilleur des cas, ils ne ricaneront plus et m’expliqueront longuement leurs projets artistiques. L’atelier d’écriture ne s’est pas passé, les textes ne sont pas passés par là, aucun.

il y a une chose, où que je sois, qui ne change quasiment pas. C’est ce que j’apporte. Des textes longs, que je lis entièrement. Je demande, sauf dans le centre d’accueil de jour, où tout se passe à l’oral, qu’on prenne des notes. Je lis, je parle, je pose des questions. Cette image en valeur, ce thème-là. Et puis ça écrit. Parfois quelqu’un ne sait pas démarrer ? J’ai pensé à une phrase, à un début de phrase, à une situation de départ. Je la propose. C’est parti.

17 mars 2015
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