Louise Lecarbet | Au débotté

moi allongée vigilance endormie àl’arrière de l’auto chaude roulante mais fini le roulis l’auto stoppe claquent les portières la une la deux la trois vite vite le réveil assise àmoitié debout dedans le rêve dehors le premier schplasch du premier pas pied droit pied gauche je ne sais pas pour les jambes je sais pour les bras bloque toute ma respiration toute c’est comme un jeudi seule sous l’eau sale de la piscine municipale je la retrouve la mémoire de la boue la mémoire de la boue de la cour de la boue molle de la ferme de mon oncle le frère fermier de maman infirmière elle veut m’avaler comme l’année dernière m’avaler la boue molle tout le monde est loin maman pappapala loin hélènossi il faut sortir la deuxième jambe ou crier ou pleurer ou sortir la deuxième jambe la bouche noire luisante sous le poids de mon pied dans ma botte suce suce suce encore et pourquoi l’auto ne s’arrête jamais juste sur le perron juste sur le paillasson non la cour noire brille et se tient tranquille elle me veut sucée déglutie mangée tranquille elle m’attend depuis l’automne plus l’hiver plus le printemps plus l’été dernier celui des sabots rouges la boue a gagné la boue a plongé sa langue dégoà»tante àl’intérieur de ma chaussette blanche mes jambes ont grandi cette année beaucoup on a donné mes sabots àvalérie alors j’ai mes nouvelles bottes jaunes achetées àeuromarché avec maman jaunes elles montent bien haut jusqu’àpresque la pliure derrière mes genoux c’est gênant pour dans l’auto mais avec les bruits et les odeurs sales des animaux sales c’est plus embêtant du tout elles me protègent comme deux armures deux boucliers elles me portent elles me défendent elles m’encerclent elles me sauvent : elles se sacrifient pour moi, mes bottes



mais la cour elle m’attend maintenant la cour làsous mes bottes maintenant sur mes bottes maintenant la matière épaisse et visqueuse et noire macule leurs flancs jaunes étincelants ça monte ça cache presque toute la couleur jaune moi j’avance j’avance bien plus vite que l’été aux sabots ça et làencore des trous sombres creusés par les grandes dents des roues des grands tracteurs làet ça des pierres des trous des mottes des pierres qui peuvent me faire trébucher si elles ont envie en ont-elles envie ? en vue le seuil clair de la maison se rapproche j’avance mais la bataille est rude encore tout peut tout basculer je voudrais les applaudir, mes bottes ; soudain je crie aaaaaah venue de nulle part partout une grande main chaude se glisse dans ma main àmoi c’est maman alors je ne pense plus àmes bottes àla cour àla boue àla bouche àla bataille perdue gagnée je pense àmaman dans ma main

22 août 2020
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