Martin Page | « Rendre un peu de ce que le monde nous donne »
Plus tard, quand on parlera des écrivain·es du XXIe siècle, on dira : iels prenaient le trains, buvaient du café et du thé, étaient végétariens, mangeaient de la compote de coings et pratiquaient le Việt Võ Đạo, iels écoutaient essentiellement Cardi B (dont ils reprenaient les chorégraphies le matin au réveil).
Mais assez d’histoire du futur. Ma résidence à Provins se passe bien, je veux dire des choses pourraient être améliorée : le trajet de la gare au lycée consiste en une montée d’une demi-heure au bord d’une route avec un trottoir quasiment inexistant et couvert de boue. Faire des ateliers d’écriture dans un lycée c’est revenir dans un lieu qui n’a pas été synonyme d’épanouissement pour moi, mais les conditions sont différentes et ça change tout : les profs qui m’accueillent (Médéric, Alexandra, Lucille, Anik, Isabelle...) sont passionné·es et passionnants, ils estiment et considèrent les élèves. Je veux dire : iels devraient être des modèles, iels devraient être valorisé·es par l’institution, on devrait leur donner plus de moyens et de pouvoir, d’autonomie.
Un des ateliers porte sur la justice, c’est un thème d’époque. Difficile d’entrer dans les détails, mais dire qu’on ne sait pas combien d’élèves vivent des situations de pure horreur et qu’iels sont seul·es, qu’iels ont peu ou pas du tout de soutien. Ce sont des enfants et iels sont confronté·es à des choses terribles. Sans parler de la dureté de leurs conditions économiques, des heures de transport pour venir au lycée, de la pauvreté des familles, des logements trop petits, de la mauvaise nourriture. On n’imagine pas la violence de l’existence de nombre d’enfants et d’adolescents. Et on ne l’imagine pas parce que personne n’en parle en fait. Notre pays a un talent pour la reproduction des discriminations sociales et ça devrait nous mettre dans une grande colère. Je veux dire aussi combien les enfants et les adolescent·es avec qui je travaille sont incroyablement doué·es et géniaux·les. Ce sont des gamin·es de SEGPA et de lycée pro et le système les catégorise dans la case des mauvais élèves. Alors le dire : non. Il n’y a pas de mauvais élèves. Aucune mauvaise note n’est méritée, aucune bonne n’est méritée. Ces enfants ont des idées et des pensées sublimes, ils sont immensément riches de leur être singulier.
J’ai proposé des rencontres à propos de mes livres sur la question animale et sur la sexualité, mais je sens que ce ne sera pas simple de simplement discuter de ces sujets. La peur est là. Il y aurait tant à faire, et tellement de professeur·euses seraient volontaires pour mener des campagnes d’information et de discussion, pour organiser une pride par exemple au sein des établissements et faire en sorte que l’homosexualité soit acceptée, et qu’aucun enfant gay ne se sente jugé. Mais ce n’est pas possible. Alors les enfants gays se taisent. Les adolescents trans ne disent rien. Nous sommes en 2020 et ce n’est pas possible que tant d’enfants et d’ados aient peur de dire qui ils sont. L’institution doit prendre en charge des campagnes pour parler de tout ça, pour accueillir la parole et défendre.
On me parle aussi de violences entre élèves, de profs dépassé·es, du manque de psychologues et de surveillant·es, d’interlocuteur·ices pour les enfants. On me parle de la souffrance de profs.
Cette résidence a commencé il y a deux mois et mon cœur est plein de l’énergie des personnes lumineuses et passionnées que je rencontre ici, professeur·es, administratif·ves, élèves, et mon esprit est assombri par les douleurs et les souffrances que je rencontre dans ce cadre. Tant de choses pourraient être faites. Tant d’inspiration pourrait être prise au Canada, en Suède, en Finlande.
Une chose me semble certaine. Si la présence des artistes a du sens quelque part, c’est bien là. Pas parce que nous sauvons, pas parce que nous aidons, pas parce que nous sommes magiques ou plus doué·es que d’autres. Mais simplement pour rendre un peu de ce que le monde nous donne et dire aux êtres que nous rencontrons qu’ils sont doués et importants, que leurs pensées comptent et qu’elles sont magnifiques.
Mais assez d’histoire du futur. Ma résidence à Provins se passe bien, je veux dire des choses pourraient être améliorée : le trajet de la gare au lycée consiste en une montée d’une demi-heure au bord d’une route avec un trottoir quasiment inexistant et couvert de boue. Faire des ateliers d’écriture dans un lycée c’est revenir dans un lieu qui n’a pas été synonyme d’épanouissement pour moi, mais les conditions sont différentes et ça change tout : les profs qui m’accueillent (Médéric, Alexandra, Lucille, Anik, Isabelle...) sont passionné·es et passionnants, ils estiment et considèrent les élèves. Je veux dire : iels devraient être des modèles, iels devraient être valorisé·es par l’institution, on devrait leur donner plus de moyens et de pouvoir, d’autonomie.
Un des ateliers porte sur la justice, c’est un thème d’époque. Difficile d’entrer dans les détails, mais dire qu’on ne sait pas combien d’élèves vivent des situations de pure horreur et qu’iels sont seul·es, qu’iels ont peu ou pas du tout de soutien. Ce sont des enfants et iels sont confronté·es à des choses terribles. Sans parler de la dureté de leurs conditions économiques, des heures de transport pour venir au lycée, de la pauvreté des familles, des logements trop petits, de la mauvaise nourriture. On n’imagine pas la violence de l’existence de nombre d’enfants et d’adolescents. Et on ne l’imagine pas parce que personne n’en parle en fait. Notre pays a un talent pour la reproduction des discriminations sociales et ça devrait nous mettre dans une grande colère. Je veux dire aussi combien les enfants et les adolescent·es avec qui je travaille sont incroyablement doué·es et géniaux·les. Ce sont des gamin·es de SEGPA et de lycée pro et le système les catégorise dans la case des mauvais élèves. Alors le dire : non. Il n’y a pas de mauvais élèves. Aucune mauvaise note n’est méritée, aucune bonne n’est méritée. Ces enfants ont des idées et des pensées sublimes, ils sont immensément riches de leur être singulier.
J’ai proposé des rencontres à propos de mes livres sur la question animale et sur la sexualité, mais je sens que ce ne sera pas simple de simplement discuter de ces sujets. La peur est là. Il y aurait tant à faire, et tellement de professeur·euses seraient volontaires pour mener des campagnes d’information et de discussion, pour organiser une pride par exemple au sein des établissements et faire en sorte que l’homosexualité soit acceptée, et qu’aucun enfant gay ne se sente jugé. Mais ce n’est pas possible. Alors les enfants gays se taisent. Les adolescents trans ne disent rien. Nous sommes en 2020 et ce n’est pas possible que tant d’enfants et d’ados aient peur de dire qui ils sont. L’institution doit prendre en charge des campagnes pour parler de tout ça, pour accueillir la parole et défendre.
On me parle aussi de violences entre élèves, de profs dépassé·es, du manque de psychologues et de surveillant·es, d’interlocuteur·ices pour les enfants. On me parle de la souffrance de profs.
Cette résidence a commencé il y a deux mois et mon cœur est plein de l’énergie des personnes lumineuses et passionnées que je rencontre ici, professeur·es, administratif·ves, élèves, et mon esprit est assombri par les douleurs et les souffrances que je rencontre dans ce cadre. Tant de choses pourraient être faites. Tant d’inspiration pourrait être prise au Canada, en Suède, en Finlande.
Une chose me semble certaine. Si la présence des artistes a du sens quelque part, c’est bien là. Pas parce que nous sauvons, pas parce que nous aidons, pas parce que nous sommes magiques ou plus doué·es que d’autres. Mais simplement pour rendre un peu de ce que le monde nous donne et dire aux êtres que nous rencontrons qu’ils sont doués et importants, que leurs pensées comptent et qu’elles sont magnifiques.
9 décembre 2019