Matt Reeck | Mitry-Mory, 3 : une fable, l’émeu de Mitry-Mory
le 8 décembre
(Je lui ai décrit l’oiseau, Fatah, il m’a dit qu’il y a beaucoup de corbeaux à Mitry-Mory. Il y vit depuis une décennie mais n’a jamais remarqué l’apparition de cet émeu. Peut-être il conduit trop. Ou trop vite. Peut-être notre émeu-ami est neuf.)
Je l’ai croisé deux fois dans la rue. La première fois j’étais tellement choqué que je me suis arrêté. Il se tenait debout dans un très grand jardin cloîtré derrière un bâtiment qui paraissait soit un logement médiocre soit une prison (avec un terrain où bien sûr les prisonniers peuvent se balader un peu entretemps, dont cet émeu). « Que fais-tu ici ? » je lui ai demandé à haute voix. Il s’est approché de moi à l’autre côté de l’enclos. Il m’a fixé tellement fort que j’ai failli paniquer. Puis, d’un émoi ancien, il m’a élaboré une réponse. Il a crié de sa gorge (sa bouche n’a pas ouvert). Une grosse bulle sonore, ronde comme un ballon presque aussi flottable qu’une magnifique montgolfière, m’a transporté à l’âge des dinosaures. « Qu’est-ce que tu en penses ? Je vis ici », il m’a dit, dans leur langage (ou l’un d’eux, je les réduis à un seul, je ne suis pas paléontologue, vise, tous les dinosaures vivaient en même temps, si vous me demandez). Ce gonflement de la gorge était pareil à un clavier mis en justesse par Johannes Sebastian Bach lui-même. La seconde fois vient de se terminer il y a quelques minutes. Cette fois je ne me suis pas arrêté. En passant, j’ai balancé un court salut, « Ça te va aujourd’hui ? Il fait gris, non ? » Aucune réponse. Il était pris par une tâche beaucoup plus importante, c’est dire, piquer les punaises de ses plumes. Après deux fois, on commence à avoir l’habitude, quoique ce soit, les bombes qui tombent du ciel pour les raisons aussi obscures que brutalement claires : la haine, le racisme, la folie, l’injustice. Ou même un émeu prisonnier dans un bagne de campagne à 25 kilomètres du musée de Louvre. (Ce n’est pas une ménagerie, je vous assure, on manque un prince à Mitry-Mory.)
Notre émeu-ami.
à mes chers enfants
(qui vont arriver de Brooklyn
dans 2 courts jours)
je vous laisse ce témoignage
le 9 décembre
**
Dès qu’on attend quelque chose de l’extérieur, on devient faibles.
– mots de Rachid, chef d’orchestre andalousien, rapporté par Fatah [1]
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dès que maintenantje suis l’un de ce petit
nombre (bien reculé)qui a eu l’occasion
de manger sur placeà la seule [2] boulangerie [3]
à Mitry-Moryje confirme les détails
un flan à la pistacheun croissant sans goût
un café allongépas de sucre merci
Seuil de Noël. Aux États-Unis, avant de partir, j’ai dit aux étudiants, « Au revoir, mes enfants, je vais à la plage pour Noël » pour qu’ils apprennent à prononcer le « r » français.
[3] Pendant que je me suis assis à table, il est advenu neuf personnes, dont à part moi, il n’y avait qu’une grande dame de 70 ans qui est venue boire un jus d’orange sur place ; et dont 1 Noir, 2 Musulmans, 1 Chinois, 1 Tamil, 4 Français. (Et moi, l’Américain.) (Écrit à la française, manière aveugle aux « petites » différences de localité et culture.)
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