Milène Tournier | Jours déconfinés
Si le "chez moi" de "restez chez vous" m’a paru si douloureux à tenir, quand bien même je vis dans un logement décent, c’est sans doute parce que la ville et marcher dans la ville, longtemps, forment un autre "chez moi" plus vaste qui associe à l’espace l’autre échelle du temps, qui est aussi celle du corps : marcher, des heures.
Après le onze mai, je suis donc sortie de "chez moi" pour reprendre possession, pas à pas, kilomètre après kilomètre, du grand chez-nous ou chez-personne de la ville. En complément des étreintes distanciées des retrouvailles d’un mètre avec la famille, les amis, revoir la ville comme des survivants, mesurer les changements, dans les rues de presqu’une saison après. Vérifier que les choses sont vivantes en dehors de nous.
Marcher, presque tâter, récupérer le réel qui existait tout ce temps mais qui, inaccessible, en devenait parfois incertain : qu’est-ce qui existe encore pendant que je n’y suis pas, qu’est-ce qui continue et que je ne vois pas ?
"Vous nous avez manqué" scandaient régulièrement les panneaux JC Decaux, "Bienvenue dehors".... mais précisément, ici aucun "Truman show", une étrangeté collective peut-être à laquelle chacun s’était comme préparé, dans le temps confiné, et qu’il faut désormais vivre ensemble, sachant qu’elle est vouée à rejoindre la temporalité plus évasive du quotidien, des allers et retours, des matins et des soirs.
En douze vidéos, se déconfiner doucement.