Petite réflexion post-confinement
J’ai eu beaucoup de difficulté à trouver un sens à l’écriture aux moments les plus forts de l’épidémie. C’était essentiellement dû à la perte d’êtres chers que le confinement rendait bien irréelle, agissant comme une sorte d’anesthésiant à toutes les peines. Du coup, je me suis senti très mal à l’aise par rapport à tous ce que les auteur(e)s inventaient dans cette période recluse, à toutes les sollicitations qui m’étaient faites de faire quelque chose, à tout ce que les théâtres mettaient en place pour exister malgré tout. Moi, je restais désespérément dans la forêt inextricable de l’écriture. J’avais honte de me prétendre écrivain. Je me sentais presque un usurpateur.
Alors je me suis souvenu que j’étais fils d’agriculteur. Dans l’agriculture, vous devez le savoir, on a recourt à l’assolement triennal. C’est-à-dire que tous les trois ans, chaque terre cultivable, à tour de rôle, est laissée en jachère, afin qu’elle puisse se reposer, se ressourcer. On laisse les petits vers et les insectes dévorer toutes les racines qu’elles trouvent dans le sol, les herbes folles, bonnes ou mauvaises, pousser comme bon leur semble. Et l’année d’après, les récoltes sont bondissantes, les rendements bien meilleurs. Pour le théâtre, c’est pareil. On ne devrait pas avoir peur de laisser les théâtres en friche. On ne devrait pas compenser l’angoisse des salles vides par l’invention de formes dérisoires qui ne correspondent plus à la fonction première du théâtre qui est de réunir au même endroit et au même moment public et artistes. On devrait ne rien faire, et ne plus y penser. Et je suis sûr que la saison prochaine, quelque chose renaîtra de cette période d’abstinence totale de théâtre, quelque chose de totalement inattendu.
En tout cas, moi, à ma petite échelle, dès le 11 mai, juste après la naissance de ma petite fille, comme par magie l’écriture est revenue, d’un seul jet, comme jamais je n’avais connu de moments si heureux en sa compagnie. Elle bondit devant moi, comme un faon qui jaillit des herbes hautes. Alors que je peux enfin librement sortir de chez moi, aller ou bon me semble, moi, je reste à l’intérieur et je ne suis pas pressé de mettre le nez dehors. Quel esprit de contradiction !