« que salubre est le vent »
Mardi 18 janvier 2005. - Les boutiques en sous-sol de la gare de l’Est ont déjà toutes fermées, ce sera bientôt le tour de la brasserie et du self dans le hall. Les jours de grève, vous restez ouvert ? demande une femme à la jeune serveuse d’une buvette où je bois un café en attendant le train de Charleville. Oui, répond-elle, grève ou pas grève on est ouvert. La gare va être entièrement refaite sauf la verrière qui est « classée », explique-t-elle ensuite. La jeune serveuse « affable » (ce mot est entré dans mon vocabulaire après la lecture du Bourreau affable de Ramon Sender, éd. Robert Laffont, 1970) discute avec Wassi (orthographe incertaine). Du Mali, non, lui dit-il, il ne rapporte rien. Même pas des bananes ? Non. Il revient les mains dans les poches. Tu es allée voir tes femmes, plaisante la jeune serveuse qui donne à Wassi des nouvelles de Rachid de retour de Kabylie, tu sais bien, le Rachid qui travaille à la brasserie.
La Cité de la Musique, les Grands Moulins de Pantin et le train prend de la vitesse.
Aujourd’hui on écrit à partir de ce qu’on appellerait en langage cinématographique : le travelling avant puis le champ-contrechamp.
Le travelling avant à partir du poème « Au Cabaret-Vert ». La route de Charleroi, les bottines déchirées, les cailloux des chemins ; le cabaret et les « sujets très naïfs des tapisseries » ; la table avec les tartines de beurre et la bière « que dorait un rayon de soleil arriéré ». Un regard qui avance en trois phrases : phrase 1 ; phrase 2 ; phrase 3.
De même : l’école de la rue de Béthune, la salle où nous travaillons, quelqu’un dans cette salle. De même... chacun compose trois phrases ou comment on passe d’un plan d’ensemble à un gros plan.
Le champ-contrechamp à partir du début de La Quarantaine, roman de Le Clézio (Gallimard, 1995, Folio n° 2974). Ce début met en scène, dans un café parisien, en janvier ou février 1872, Jacques, le grand-père du narrateur, et Arthur Rimbaud, jeune homme alors inconnu pour autre chose que ses frasques (comme on dit) et son goût de la provocation.
Dans la salle enfumée, éclairée par les quinquets, il est apparu. Il a ouvert la porte, et sa silhouette est restée un instant dans l’encadrement, contre la nuit. Jacques n’avait jamais oublié. Si grand que sa tête touchait presque au chambranle, ses cheveux longs et hirsutes, son visage très clair aux traits enfantins, ses longs bras et ses mains larges, son corps mal à l’aise dans une veste étriquée boutonnée très haut. Surtout, cet air égaré, le regard étroit plein de méchanceté, troublé par l’ivresse. Il est resté immobile à la porte, comme s’il hésitait, puis il a commencé à lancer des insultes, des menaces, il brandissait ses poings. Alors le silence s’est installé dans la salle.
Cette fois il faut choisir : décrire ce qu’on voit du point de vue d’un des consommateurs assis aux tables du café ou du point de vue d’Arthur Rimbaud qui découvre la salle enfumée.
L’exercice me semblait difficile, pourtant la proposition de texte est immédiatement comprise, on se déplace sans problème dans cet espace, même ceux qui ne poussent jamais la porte d’un café.
Les textes sont en cours, nous les reprendrons la semaine prochaine.
Après les vers de Rimbaud calligraphiés en arabe par Rabea et Samah (atelier du 21 décembre), ce sont ses propres vers que Oumouch, aujourd’hui, nous fait découvrir en russe puis en koumyk.
Traduction des deux poèmes en langue russe :
Il y a un arbre, il tombe des feuilles
Il y a un chat, il aime manger
Il y aun automne très beau
Il y a une poésie de Rimbaud
Merci pour tout
Pour une jaune feuille
Pour la pluie
Pour l’automne et pour vous
Qui avez choisi
De lire ma poésie
Traduction du poème en langue koumyk :
Dans la neige
L’étoile pour la nuit
Du soleil pour le jour
Pour la verdure de la pluie
Pour le cœur de la neigeMa chanson c’est pour toi
Pour moi de la neige
Bienvenue chez moi
Dans la béatitude blancheN’aie pas peur ma chérie
Cache-toi sous la neige
Est partie notre maladie
Quand nous tournions comme manège
Chaque mercredi après-midi, dans la salle contiguë à celle où nous écrivons se tient un atelier d’arts plastiques. C’est le domaine des plasticiens Robert et Anne Cara.
Leurs propositions de travail sont basées sur l’association : chaque stagiaire a choisi une « figure » principale (personnage, animal ou objet) à laquelle il a ajouté au maximum quatre éléments (papier, textile, métal, bois) et de la couleur (gouache, craie, entre, gravures anciennes (xylographies). Le format des collages est de 18 x 20 cm.
Dans les semaines qui viennent, il leur sera demandé d’établir un lien entre leurs travaux graphiques et les textes de l’atelier d’écriture afin de mettre au point la maquette de l’abécédaire des lieux de vie de Rimbaud, notre projet commun.
C’est Juliette qui a réalisé le beau collage ci-après.