Répéter les symptômes

« Je doute de pouvoir échapper au doute. De pouvoir finir mon œuvre. Ou même de la commencer, après m’être flattée d’y travailler », Rosmarie Waldrop


Rosmarie Waldrop est une figure importante de la poésie américaine des soixante dernières années. Née en Allemagne en 1935, elle a épousé le poète Keith Waldrop à la fin des années cinquante. Tous deux se sont ensuite installés à Providence (Rhode Islands) (où elle vit toujours) et y ont fondé en 1967 les éditions Burning Deck au catalogue desquelles l’on retrouve, entre autres, des livres de Robert Coover, Paul Auster, Harry Matthews, Cole Swensen, Robert Creeley ainsi que de plusieurs poètes français (Edmond Jabès, Jacques Roubaud, Emmanuel Hocquard, Anne-Marie Albiach) et allemands (Friederike Mayröcker, Oskar Pastior, Elke Erb), qu’elle a elle-même traduits.

Son œuvre poétique, essentiellement écrite en anglais, est considérable et une douzaine de titres ont été traduits en français. Le dernier en date, Répéter les symptômes, est un ensemble constitué de onze sections de courtes proses, chacune débutant par un verbe (vouloir, penser, douter, traduire, signifier, etc) sur lequel elle s’appuie pour mettre sa pensée en mouvement. Elle sait le parcours sinueux qu’il lui faut emprunter avant de toucher du doigt l’évidence et la simplicité. C’est ce cheminement qui préside au déploiement de sa poésie et qui l’aide à affirmer et à concrétiser ses intuitions. Elle cherche, pour cela, les mots justes, les phrases précises, les bons emboîtements. Un long travail d’orfèvre qui requiert obstination et humilité.

« Mon esprit se dissipe en une triste bouillie. Jusqu’à ce que je retourne au rafraîchissement des verbes, des pronoms, des conjonctions. Et le monde reprend pied dans la dépendance des propositions. Mes sens sont inaptes sans mots auxiliaires. »

Les mots l’accompagnent. Avec leur sonorité, leur étymologie, leur façon de se toucher, de s’associer, de s’échapper de l’espace clos d’un bureau pour voyager à leur guise, d’en attirer d’autres en cours d’escapade et de créer, en circulant sur une même page, des poèmes clairvoyants dans lesquels le corps de celle qui les conçoit se déplace en toute liberté.

Entre ses moments de doute et ceux où l’envie de ne rien faire domine, elle laisse sa pensée vaquer et ne s’inquiète pas. Ce qui la tracasse, c’est de savoir « s’il reste quelque chose à faire ».

« Peur de mourir sans avoir rien fait. »

Le recueil se termine en s’attachant au verbe vieillir. Et, une fois de plus, comme tout au long de cet ensemble empli de sagesse, de savoir, d’expérience et de vie, ce n’est pas la désolation qui pointe. Il faut simplement composer avec une évidence. Aller au bout du chemin. Laisser les choses advenir. « Tombés de l’été comme une pierre, nous regardons tomber le temps ».

« Tu dis que l’absence d’objectifs a ses avantages. »

Ce "tu" auquel elle s’adresse régulièrement est son mari, Keith, décédé en 2023, deux ans avant la publication de ces poèmes aux États-Unis, Keith dont la mémoire et le corps vacillaient et qui faisait alors route vers une galaxie inconnue.

« Depuis ce pays lointain, tu me dis qu’autrefois tu avais une femme allemande.

Ma grammaire ne m’est d’aucun secours dans ces contrées. Et je ne sais pas si je devrais te le dire. Je suis cette femme allemande. »

Ce livre d’une quarantaine de pages est idéal pour découvrir (ou retrouver) Rosmarie Waldrop. Elle célèbre la vie, puise à nouveau dans sa biographie et travaille le langage sans discontinuer, poursuivant une œuvre dense, exigeante et lumineuse.


Rosmarie Waldrop : Répéter les symptômes, traduit de l’américain par Paol Keineg, éditions La Barque.

Jacques Josse

28 décembre 2024
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