J’hésite encore : le elle de la poursuite désigne-t-il la mort ou l’image ?
Le récit est simple : une poursuite qui a commencé dans le métro. Celle qui raconte l’écrit ensuite au crayon, au verso des pages d’un ancien roman, dans le noir. Si elle éclaire la pièce elle ne verra plus les lumières de la ville. Mais elle a besoin de la ville, de la nuit, des lumières du dehors pour écrire, et elle n’éclaire pas.
Le lendemain, certains mots sont illisibles.
Elle les déchiffre, les devine, les complète.
L’image, si c’est bien une image qui poursuit, restera floue, menaçante, et que la mort, si c’est plutôt elle, viendra n’importe quand, dans n’importe quel lieu, celle qui écrit ne l’oublie pas.
Quant au je, au tu, nous les avons empruntés à la grammaire.
Elle n’a de cesse. N’importe où. Montre digitale dont les quatre chiffres additionnent le temps. Sonnerie qu’elle entonne comme un nouveau départ. Pour elle, pas pour toi. Va-et-vient de turbans, chapeaux, crânes. Sous la visière on ne voit pas ses yeux. Emplacement impalpable, contraint par les voyageurs. Sous la cuirasse on ne voit pas ses bras. Baladeurs, écouteurs. Sous les éperons on ne voit pas ses pieds. Directions à tout-va, fourches disloquées. Gants, cartables, écharpes. Quelquefois on préférerait autre chose, ailleurs, autrement. Double page du roman que lit un garçon. N’importe quand. Correspondances, changements. Sous n’importe quelle forme. Là, vitre contre quoi elle se colle, frotte tes paupières. Et toi que fais-tu, tu t’enfonces dans tes ayant dit. Puis elle, tout à fait sauvage. Décampe ! Tu te lèves, descends sur le quai, bouscules x et y. Couloir. Le nouveau testament le nouveau t. Tu pars à angle droit. File, file. Couloir. Les portes du ciel les portes du. Tu tentes l’angle gauche. Tout est obstacle, aucun repli. Chocs des sabots ferrés. Couloir sans fin. Qu’un seul mot te parle et tu serais sauvée. Cours sans te retourner. Qu’un seul mot t’atteigne et tu serais perdue. Rome 1984 tu en avais vomi, te rappelle-t-elle. Elle ajoute avec dédain : Petite nature. Tu secoues la tête. Tu sais très bien où tu vas, en réalité tu n’en sais rien. Évite de te faire du mal, seulement ça. Tu ne sais pas où tu vas, en réalité tu le sais très bien. Au moins, fais comme si. Les contraires sont de retour, dis-tu, tu comprends ? Ils veulent ma peau, je le sais. Elle les envoie en éclaireurs, tu les entends ? Pas grand-chose, tu es certaine ? Oui, écoute bien. Ruses en pagaille. Forêts de lances, fossés creusés par des épées, des pieux, des objets contondants. Un vrai San Romano grandeur réelle. Lui rapporter où j’en suis avec les reflets, les échos, l’honneur, le courage. Eux les sans pitié. Je les avais oubliés. Pas eux, moi. Tout est pareil à autrefois, tout s’en démarque. Leurs sièges étaient en cuir, ils sont en plastique. Ils étaient verts, ils sont bleus. Ils s’éloignaient, ils rappliquent. Ils avançaient à visage découvert, ils portent des masques. Leurs secousses électriques, elles clignotent. Me dégoulinent dans le dos. Me glacent les doigts. Fournaise blanche. Assez ! Avec toi c’est toujours la même histoire. Tu n’as pas le temps en main ? Sors ! Tu sors. Elle t’y attend. Avec sa cohorte de contraires. La tienne, maintenant. L’ancre et la toile. La terre et le feu. Le ciel et la plume. La nuit et le lait. La pierre et la chute, le silence, la métamorphose, la mesure, la clé, le la, un défilé. Chaque chose pouvant figurer son contraire. Un jeu de hasards, une loterie. Chaque fois que tu en oublies une, elle la ramassant et te la flanquant sur les épaules. Allez, une de plus. Elle veut ta peau. Elle l’aura, dis-tu. Un soir comme ce soir je décrocherai, baisserai ma garde, me rendrai. Car elle, non, pas de contraire. Mais toi, oui, ton contraire. Ton contraire et toi. Car sa mort à elle, non. Mais toi, oui, ton contraire et ta peau, et ton nom, tes contraires, chacun.
9 mars 2009