Sélim Nassib | Comment tu t’appelles ? [1]
Sélim Nassib a invité des participants de différents milieux (groupe de théâtre, maison de retraite, lycéens) à vivre ensemble une expérience d’expression et de narration. Différents ateliers ont été lancés sur une question simple : « Comment tu t’appelles ? », posée aux personnes participant aux différents groupes. Les questions qui en découlent (« D’où vient ce nom ? » « Veut-il dire quelque chose ? ») ont entraîné des réponses qui illustrent l’extraordinaire diversité des histoires et des identités qui nous composent.
Ces réponses ont été filmées et seront l’occasion d’une présentation publique au siège de l’association "Anis Gras, Le lieu de l’autre" (Arcueil) au dernier trimestre 2018.
Comme avant-goût, voici certaines des réponses apportées.
Colette
Je m’appelle Colette Monceaux, comme le parc mais avec un x au bout.
Dans l’arbre généalogique, je suis remontée jusqu’à Louis XIV. Je l’ai fait avec mon père, mais maintenant qu’il y a Internet, ça doit être plus simple.
Il y en a en partout, des Monceaux, ils se sont mariés, il y en a en Allemagne, il y en a au Canada, il y en a à Trinidad…
Ma mère s’appelait Delpech. Par elle, je remonte jusqu’à mon arrière-grand-mère qui avait été confiée, toute petite, par Viollet-le-Duc, l’homme de paille de Napoléon III.
Elle s’appelait Mathilde Toulouse, un nom de ville, peut-être parce qu’elle était née de quelqu’un d’important qui ne voulait pas lui donner son nom – mais qui ne voulait pas l’abandonner pour autant… Une enfant naturelle, donc, mais qui a eu des cours de musique et de danse comme le reste de la famille…
Elle était très jolie, paraît-il, alors que les filles de Viollet-le-Duc, pas tellement. Ses demi-sœurs lui en voulaient, elle s’est donc mariée pour s’échapper du foyer… pas tout à fait avec le premier venu mais presque.
Ils ont eu un fils qui est devenu un peu musicien, il jouait du hautbois, et qui s’est marié avec ma grand-mère… Et cette grand-mère traitait son mari de saltimbanque… Elle n’est restée mariée que deux ans avec lui, elle ne le supportait pas parce qu’il jouait aux courses, il jouait à tout, et dépensait tout l’argent.
Voilà mon histoire, Colette Monceaux d’un côté, Delpech de l’autre, Louis XIV d’un côté, Viollet-le-Duc de l’autre.
Et toi, comment tu t’appelles ?
Patience
Je m’appelle Patience Attipoe.
J’ai une sœur jumelle qui s’appelle Jeanne, et moi, enfant, je m’appelais Jeannette.
Nous étions très différentes ! Ma sœur Jeanne était dynamique et rapide. Et moi, je passais mon temps à pleurer très fort. Alors pour me faire taire, elle me mettait deux doigts dans la bouche, et ça marchait… J’arrêtais de pleurer. Je pouvais m’asseoir comme ça sans bouger et rester tranquille très longtemps. Je suis calme. Alors ma tante, la sœur de ma mère, m’a dit un jour : « Toi, tu es Patience ! ». Et le prénom m’est resté. Je n’étais plus Jeannette mais Patience…
Je suis du Togo, mais mon grand-père, au départ, venait du Ghana. Il s’appelait Vamatoenawo, ce qui veut dire : « Viens, je vais te dire quelque chose ». Quand il est arrivé à Lomé, il s’est installé dans le quartier Atikpokome – c’est de là que vient mon nom de famille, Attipoe. J’aurais dû m’appeler Jeannette Attipoe, c’est même écrit sur mes papiers d’identité : il y a d’abord Jeannette puis Patience puis Wetsa.
Mais personne ne m’appelle Jeannette, personne ne m’appelle Wetsa. Je suis Patience.
Et toi, comment tu t’appelles ?