Sophie Coiffier | Tiroir central




"Comment atteindre le fondamental en partant du dérisoire, d’un fouillis inquiétant et familier ? Nous sommes perdus, lost in translation, égarés dans le langage, dans des espaces difficiles à habiter, entre les cases des formulaires… Les chapitres-dossiers de ce tiroir central exposent des repères qui font signe : découvrir un certain sens au désordre, s’y reconnaître, retrouver un passage, un endroit déjà connu et de là, enfin, tracer son chemin, singulier et multiple." (Présentation de l’éditeur)



Tiroir central, le nouveau livre de Sophie Coiffier, vient de paraître aux éditions de l’Attente.




Extrait :

Il s’agit d’une bibliothèque au classement aléatoire, toujours changeant. A l’origine, le classement alphabétique, vainqueur, te permet d’aligner Aristote, puis Barthes et Caillois, mais très vite la machine dans ta tête s’emballe et tu te retrouves à passer d’Aristote à Rancière, de Proust à Perec et de Bernhard à… Tu commences à tresser une cartographie complexe entre les textes eux-mêmes qui ne correspond pas du tout à leur situation spatiale. Le lecteur comprendra bientôt à la lecture des mentalographies que la bibliothèque a, de surcroît, sans cesse changé de visage au gré des déménagements. Le lecteur imaginera aisément qu’au fil du temps les livres se sont accumulés, augmentant les difficultés susmentionnées. Les plans d’aménagement de ton territoire mental s’en trouvant bouleversés par delà le fait de retrouver, au fond des cartons, les assiettes et les verres, chaussettes et pullovers. Ainsi, par exemple, la distance a augmenté entre des ouvrages jadis par toi cousinés, substituant à un écho bien ferme, un bref murmure - te laissant un moment les oublier au profit de nouveaux attelages testant l’opportunité d’un bref voisinage.
Tu te mets à rêver d’un texte qui pourrait une fois pour toutes réconcilier l’ensemble et faire de ce tintamarre un Chœur symphonique. Il te faut t’enfoncer profondément dans la forêt des livres. Longtemps je me suis couché de bonne heure, vienne la nuit, sonne l’heure - l’exploration continue dans le souffle de l’enquête, avec comme point de mire la beauté des phrases et la vérité des images textuelles qui te laissent toujours la liberté de ne pas y croire.
Comme chez Proust, la lecture est un présent sans cesse renouvelé. Lieu après lieu, organisation après organisation, le poème né du réseau des voix se modifie. Parfois il perd une strophe, un chapitre, parfois il s’étoile comme un ciel hivernal non pollué par l’éclairage artificiel des villes : il déploie pour une fois une cartographie universelle qui traverse le temps.

Sophie Coiffier sur Remue.net.

28 février 2021
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